Le prix Bayeux des correspondants de guerre a rendu hommage jeudi aux 12 victimes de l'attentat contre Charlie Hebdo en présence du dessinateur Riss, dans le cadre d'une cérémonie consacrée aux journalistes décédés dans le monde.

«On n'avait jamais imaginé que des noms de collaborateurs de Charlie se retrouvent sur cette liste» alors que le journal «n'a quasiment jamais envoyé de journalistes en zone de guerre», a déclaré Riss. Mais «ce qui s'est passé, c'est que la guerre est venue à nous (...) Pendant les trois minutes que ça a duré (la fusillade au siège du journal, ndlr), c'était presque une zone de guerre. Les gens attaquaient comme des guerriers».

Une stèle à la mémoire des journalistes tués dans leur fonction entre mai 2014 et juin 2015 a été dévoilée en présence de 200 à 300 personnes dont le directeur financier de Charlie Hebdo, Éric Portheault, et la présidente du jury 2015 du prix Bayeux, la Britannique Carlotta Gall.

«Jour le plus noir»

Cette cérémonie aux reporters morts dans l'exercice de leur fonction est annuelle. Mais c'est le première fois que des noms de journalistes tués à Paris figuraient sur la stèle: Jean Cabut (Cabu, 76 ans), Elsa Cayat (psychanalyste et chroniqueuse, 54 ans), Stéphane Charbonnier (Charb, le patron de Charlie Hebdo, 47 ans), Philippe Honoré (Honoré, 73 ans), Bernard Maris (économiste et chroniqueur, 68 ans), Mustapha Ourrad (correcteur du journal, 60 ans), Bernard Verlhac (Tignous, 57 ans) et Georges Wolinski, 80 ans.

«Il y a eu des jours noirs dans l'histoire de la presse», a déclaré le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, rappelant que, le 23 novembre 2009, sur une île aux Philippines, plus de 30 journalistes «ont été assassinés» dans le convoi d'un homme politique local.

Mais «le jour le plus noir, pour nous, c'est évidemment le 7 janvier. L'éloignement ne réduit pas la gravité mais cela nous interroge tous car Charlie Hebdo a longtemps vécu dans la plus grande solitude» lorsqu'il était menacé, avant l'attentat, a poursuivi M. Deloire.

Avec cette nouvelle stèle, «ça fait 720 journalistes tués en 10 ans, simplement parce qu'ils faisaient leur travail», a-t-il aussi souligné.

Parmi les 66 nommés sur la stèle, «quinze d'entre eux c'était en Syrie. Sept en Palestine, six en Ukraine, quatre en Irak», selon M. Deloire.

«Hommage particulier aux journalistes morts en Syrie»

Un hommage particulier a été rendu aux journalistes morts en Syrie. «Le nom d'un de nos journalistes tués figurent sur cette stèle», a expliqué Lina Chawaf, rédactrice en chef d'une radio syrienne basée à Paris et à la frontière turco-syrienne.

«Quatre ou cinq autres sont morts torturés par le régime et nous ne pouvons donner leur nom car leurs familles sont menacées de mort par le régime. Trois ou quatre autres ont été pris en otage par l'État islamique (et) nous ne savons s'ils sont vivants», a-t-elle poursuivi.

Selon RSF, depuis 2011, 51 journalistes ont été tués en Syrie. Et au moins 30 journalistes et net-citoyens sont en outre détenus par le groupe État islamique (EI), et 28 autres sont portés disparus ou enlevés par des groupes armés, notamment l'EI.

Même certains pays occidentaux «réputés pour leur démocratie (...), ne se sont pas illustrés en soutenant beaucoup cette idée de la liberté», a aussi souligné M. Deloire.

Situé en face d'un cimetière militaire de victimes britanniques de la Seconde guerre mondiale, le Mémorial des reporters, unique en Europe, rend hommage aux près de 2350 journalistes décédés depuis 1944 dans l'exercice de leurs fonctions.

L'an passé, la cérémonie avait rendu hommage aux journalistes américains décapités par l'EI, James Foley et Steven Sotloff. La stèle des journalistes tuées entre avril 2013 et août 2014 comptait 113 noms.

La 22e édition du Prix Bayeux, grand rendez-vous des reporters internationaux a démarré lundi. Des prix seront attribués samedi.