Luz, le dessinateur emblématique de Charlie Hebdo, auteur de la une controversée sur Mahomet après l'attentat contre l'hebdomadaire, va quitter le journal en septembre, un départ, assure-t-il, qui n'a rien à voir avec les dissensions au sein de la rédaction.

«C'est un choix très personnel», explique ce pilier de Charlie Hebdo, entré à l'hebdomadaire satirique en 1992. «Si je me barre, c'est que c'est difficile pour moi de travailler sur l'actualité», ajoute le dessinateur dans un entretien à Libération, confirmant une information de Mediapart.

«Ça n'arrive plus à m'intéresser, en fait, ce retour à la vie normale de dessinateur de presse. Beaucoup de gens me poussent à continuer, mais ils oublient que le souci, c'est l'inspiration», poursuit Luz.

La défection de celui qui était devenu ces derniers mois le dessinateur vedette du journal est un nouveau coup dur pour Charlie Hebdo, qui avait perdu cinq dessinateurs dans l'attentat du 7 janvier et souhaitait attirer de nouveaux talents.

Si sa «réflexion sur le départ date d'il y a longtemps», Luz explique qu'après l'attaque, «il a suivi par solidarité, pour laisser tomber personne. Sauf qu'à un moment donné, ça a été trop lourd à porter».

«Chaque bouclage est une torture parce que les autres ne sont plus là. Passer des nuits d'insomnie à convoquer les disparus, à se demander qu'est-ce que Charb, Cabu, Honoré, Tignous auraient fait, c'est épuisant», confie-t-il à Libération.

Une fois la page Charlie tournée, il dit vouloir faire «des livres. Prendre du temps» et «relire la Bible». Avant d'ajouter: «Non, je déconne!».

Fin avril, l'auteur de la couverture du premier Charlie Hebdo paru après la tuerie, où Mahomet disait «tout est pardonné» - un dessin qui avait suscité des manifestations parfois violentes dans le monde - avait déjà annoncé qu'il ne dessinerait plus le personnage du prophète.

«Il ne m'intéresse plus. Je m'en suis lassé, tout comme [le personnage] de Sarkozy. Je ne vais pas passer ma vie à les dessiner», avait déclaré Luz, qui publie jeudi l'album Catharsis, où il raconte comment il a tenté de se relever après l'attaque.

Crispations en interne

Son départ intervient au moment où Charlie Hebdo ne s'est jamais aussi bien porté financièrement, alors qu'il était au bord de la faillite avant l'attentat, mais le journal connaît de sérieuses crispations en interne.

«Dans quelques mois, je ne serai plus Charlie Hebdo, mais je serai toujours Charlie», résume Luz. Il affirme toutefois que sa décision n'a pas de rapport avec les tensions que connaît l'hebdomadaire depuis plusieurs semaines.

En avril, quinze salariés - dont Luz - sur la vingtaine que compte le journal, avaient réclamé une nouvelle gouvernance et un statut d'«actionnaires salariés à parts égales». Ils s'interrogeaient notamment sur l'utilisation de l'argent rentré massivement dans les caisses depuis l'attentat, grâce notamment au boom des ventes.

«Cet argent doit être redistribué aux victimes, c'était l'engagement qui avait été pris [...] par des membres de la direction ou des avocats», avait déclaré vendredi l'urgentiste Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie Hebdo. «Or, à l'heure actuelle, on ne sait pas trop comment ça va se passer».

Lundi, la direction de Charlie a assuré dans un communiqué que les quelque «4,3 millions d'euros» de dons reçus par l'hebdomadaire seraient «intégralement» reversés aux victimes.

Par ailleurs, «la marge brute réalisée sur les ventes du journal depuis les attentats de janvier est estimée à environ 12 millions d'euros à ce jour, avant impôts sur les sociétés», ont précisé les actionnaires de Charlie, rappelant «leur engagement absolu à ne percevoir aucun dividende sur ces sommes». Une réponse aux «déclarations inopportunes, inexactes, sources de rumeurs malveillantes et de nouvelles tensions».

Dernier incident en date au sein de la rédaction: une des journalistes, Zineb El Rhazoui, a annoncé la semaine dernière qu'elle était convoquée pour un entretien préalable à un licenciement. La direction, qui a ensuite annulé la convocation, a assuré qu'il s'agissait uniquement de lui rappeler ses «obligations» professionnelles.