Sept semaines après l'attaque meurtrière, Charlie Hebdo, tiré à 2,5 millions d'exemplaires, était de retour mercredi dans les kiosques mais sans connaitre l'engouement inédit suscité par le «numéro des survivants», selon des témoignages recueillis par l'AFP.

«On en a vendu une cinquantaine sur 250. Mais on est en pleines vacances scolaires, et dans le XVIe arrondissement», constate en milieu d'après-midi Sylvie Le Jemtel, gérante d'une librairie parisienne.

A Marseille, un kiosquier en avait vendu 130 vers 16h00, sur les 200 qui lui ont été livrés. «Je ne pense pas tout vendre. Il y a un moins d'engouement qu'en janvier».

Le «numéro des survivants» avait été diffusé à 8 millions d'exemplaires, un record historique pour la presse française, alors que Charlie se vendait avant l'attentat à moins de 30 000 exemplaires.

Contrairement à la fois précédente, les MLP, distributeurs du journal, n'avaient communiqué aucun chiffre en fin d'après-midi.

Le nouveau numéro avec lequel l'hebdomadaire tente de retrouver un semblant de normalité en affichant une Une moins provocatrice, continue de bénéficier d'un élan de solidarité.

«Je l'ai acheté par solidarité et je vais encore l'acheter pour quelques semaines», indique un client à la gare Paris-Saint-Lazare. «Il ne faut pas que l'esprit de Charlie retombe, que la flamme du 11 janvier s'éteigne», souligne ce cadre d'une cinquantaine d'années.

A Guéret (Creuse), un papetier affirmait avoir vendu les 50 exemplaires reçus: «On n'en avait plus à 9h30.»

Reparti sur un rythme hebdomadaire avec le numéro 1179 de mercredi, Charlie Hebdo, qui compte désormais 240 000 abonnés, contre 10 000 avant les attentats du mois de janvier, a fait sa Une sur Marine Le Pen, le pape et Nicolas Sarkozy, sans oublier un djihadiste, kalachnikov entre les dents.

«Après la violence qu'on avait subie, on voulait une Une un peu apaisée», explique à l'AFP Riss, le nouveau patron du journal, toujours en rééducation après avoir été blessé à l'épaule dans l'attentat qui a fait 12 morts.

«Pardonner... on ne peut pas»

«Notre ligne éditoriale est la même depuis 1992. On n'est pas plus provocateurs, on n'en fait pas plus. C'est l'environnement qui a changé», poursuit Riss.

«Pardonner... on ne peut pas», a-t-il dit aussi au Parisien.

Depuis le 7 janvier, le poids du symbole est bien là, parfois un peu lourd à porter.

En Israël, un parti ultra-nationaliste a été autorisé mercredi par la justice à distribuer gratuitement le numéro de Charlie Hebdo avec le prophète Mahomet en couverture, dans le cadre de sa campagne électorale.

«Je me demande comment un titre qui est devenu tellement symbolique, mondialement symbolique, peut survivre journalistiquement à un enfermement dans un symbole», s'est interrogé mercredi Philippe Val, l'ancien patron de Charlie Hebdo dans un entretien avec la télévision publique suisse RTS.

La menace, floue et mal identifiée jusqu'alors, leur est tombée dessus «comme la foudre» le 7 janvier 2015.

«Avant, on ne savait pas trop, mais là, il faut être réaliste, il faut se protéger. Ca serait irresponsable de faire ça avec légèreté», raconte Riss qui est surveillé en permanence par un groupe de policiers.

Mercredi, un sondage indiquait que plus d'un quart (27%) des musulmans britanniques disent «avoir un certain degré de compréhension» des motifs ayant conduit à l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo, 11% estimant même que «les organisations publiant des images du prophète Mahomet méritent d'être attaquées».

En France, un basketteur nigérian du club de Rouen a lui été licencié pour faute grave après avoir partagé sur son compte Twitter un message évoquant les attentats de Charlie Hebdo. «Je ne suis pas Charlie, je suis Ahmed, le policier mort. Charlie a ridiculisé ma foi et je suis mort en défendant son droit de le faire», avait-il retweeté en anglais.

Si les peurs ont été ravivées par les attaques de Copenhague ou les appels aux meurtres sur Twitter contre Zineb El Rhazoui, collaboratrice franco-marocaine de Charlie Hebdo et son mari, ce nouveau numéro du journal veut aussi montrer qu'il n'y a pas que «ça».

Le sable breton menacé, la paye d'Henri Proglio chez Thales, l'épidémie de grippe, la Grèce ou DSK : les sujets sont variés et les bonnes volontés sont là. Pétillon, habitué du Canard enchaîné, l'Algérien Dilem, ou l'écrivain Marie Darrieussecq ont contribué à cette nouvelle édition.