Jesse Brown est le blogueur qui fait trembler les médias canadiens-anglais, surtout la CBC.

L'affaire Ghomeshi, c'est lui. L'affaire Amanda Lang aussi. L'auteur du blogue Canadaland a fait un doublé dans les derniers mois, d'abord en sonnant l'alarme lorsque l'animateur Jian Ghomeshi a quitté son micro pour un congé d'une durée indéterminée. Jesse Brown s'était alors associé au Toronto Star pour publier l'histoire parce qu'il n'avait pas les reins financièrement assez solides pour assumer d'éventuelles poursuites en diffamation.

Sa plus récente bombe (en collaboration avec le journaliste Sean Craig) concerne Amanda Lang, une reporter-vedette qui couvre le monde des affaires à la CBC et à qui on reproche d'être en flagrant conflit d'intérêts. En effet, en plus de son travail de reporter, Mme Lang accepte d'être rémunérée par la RBC - une institution bancaire qu'elle couvre en tant que journaliste - pour donner des conférences. Or, voilà qu'on apprend en outre qu'elle aurait tenté de stopper le reportage d'une collègue de la CBC qui enquêtait sur des pratiques de la RBC. Mme Lang a même publié un texte d'opinion dans les pages du Globe and Mail à ce sujet. On a également appris que Mme Lang était la petite amie d'un membre du conseil d'administration de la RBC. Toutes ces révélations ont été publiées d'abord sur le blogue Canadaland.

AGENT LIBRE

Jesse Brown a lancé Canadaland en 2009. Chaque semaine, il diffuse une baladodiffusion dans laquelle il critique les médias.

Ironiquement, Jesse Brown a déjà été un collègue de Jian Ghomeshi à la CBC. Il a été producteur de l'émission Sunday Edition aux côtés de Michael Einrich et a également animé deux émissions, The Contrarians et Search Engine.

Après avoir essuyé un refus de la plupart des médias pour un projet d'émission qui les critiquerait, il a décidé de le lancer seul. C'est ainsi que Canadaland est né.

Un mal pour un bien, se dit-on aujourd'hui, puisqu'il n'aurait sans doute pas pu révéler l'affaire Ghomeshi s'il était resté à la CBC.

« J'y ai pensé souvent dans les derniers mois, admet-il en entrevue à La Presse. Mais au fond, la CBC devrait être capable d'autocritique. Aux États-Unis, David Carr écrit sur le New York Times et l'émission On the Media parle de NPR, qui la diffuse. Ce devrait être la même chose au Canada. »

Mais voilà, ce n'est pas le cas. Il faut être drôlement indépendant pour avoir les coudées franches et critiquer tous les médias, y compris le sien.

Or, un bon critique des médias, selon Jesse Brown, c'est quelqu'un qui met son nez partout, qui parle de tout sans avoir les mains liées. Le fait d'avoir travaillé à la CBC ainsi que d'avoir fait de la pige pour plusieurs publications comme le Toronto Star ou le National Post lui a ouvert des portes et l'a aidé à établir un excellent réseau de contacts.

« Je ne pense pas que quelqu'un qui n'a aucune expérience dans les médias pourrait arriver à les couvrir comme je le fais, dit-il. Par contre, il est clair que j'ai bousillé toutes mes chances de retravailler dans les grands médias. Mais j'ai fait ce choix consciemment. »

Jesse Brown assure qu'il voit déjà les fruits de son travail. L'affaire Leslie Roberts (ce lecteur de nouvelles du réseau Global qui, parallèlement à son emploi à la télé, exploitait une firme de relations publiques et interviewait ses propres clients, et qui a démissionné jeudi dernier), révélée par le Toronto Star, ne serait pas sortie il y a un an, selon le blogueur. « Il y a un plus grand souci de transparence aujourd'hui qu'il y a un an », estime-t-il.

POURQUOI PAS LE QUÉBEC?

Depuis l'affaire Ghomeshi, Canadaland, qu'on aurait pu qualifier de blogue confidentiel il y a encore six mois, a gagné en notoriété. Jesse Brown a déjà amassé 9000 $ grâce à une campagne de sociofinancement à long terme, ce qui lui permet de payer un journaliste (Sean Craig, qui couvre l'affaire Amanda Lang). S'il atteint 10 000 $, ce qui devrait se produire sous peu, il a promis de créer une émission politique, un domaine qu'il connaît peu, reconnaît-il. « La couverture politique est terrible, au Canada. On emploie un langage que je ne comprends pas, on parle entre initiés. Je veux décoincer tout ça, en parler autrement. Je suis justement à la recherche d'un animateur ou d'une animatrice qui partagerait ma vision. Les élections s'en viennent, c'est le bon moment pour lancer quelque chose. »

Le blogueur lorgne aussi du côté du Québec, où le milieu des médias francophones l'intéresse grandement. « Il y a plein de sujets intéressants: PKP, la manière dont Radio-Canada gère ses coupes budgétaires... J'aimerais bien couvrir tout ça sur mon blogue dans un avenir prochain. »

Visiblement, on n'a pas fini d'entendre parler de Jesse Brown.

HAÏTI ET TWITTER

En 2010, quand le séisme a secoué Haïti, Twitter était tout nouveau et encore peu utilisé par les journalistes. C'est avec cette tragédie, nous rappelle l'Institut de journalisme Poynter, que le réseau de microblogage s'est transformé en formidable outil de reportage. On peut dire beaucoup en 140 caractères, comme l'avait alors brillamment démontré Joanna Smith, journaliste au Toronto Star. En entrevue cinq ans plus tard, elle revient sur les événements et sur la façon dont elle a couvert l'après-séisme avec peu de moyens.

UN PRIX DE JOURNALISME POUR MONICA LEWINSKY?

Parmi les textes qui ont fait parler en 2014, il y a celui de l'ancienne stagiaire à la Maison-Blanche Monica Lewinsky dans le Vanity Fair. Dans un article écrit au « je », celle qui a failli faire tomber le président Clinton discute franchement de son expérience et de la culture de l'humiliation à l'ère des réseaux sociaux. Elle figure aujourd'hui parmi les finalistes de l'American Society of Magazine Editors, dans la catégorie essais. Le nom des gagnants sera annoncé le 2 février.