Comme Nice-Matin, Terra Eco, L'Humanité ou Charlie Hebdo, de plus en plus de journaux menacés de faillite recourent aux appels aux dons, une solution qui n'offre qu'un répit temporaire.

À Nice-Matin, placé en redressement judiciaire après des pertes annuelle de 6 millions, les salariés ont levé cet été 300 000 euros sur la plateforme de financement participatif Ulule. Une goutte d'eau, mais cet appel aux dons a provoqué un élan de sympathie et encouragé les salariés à faire une offre de reprise, acceptée par le tribunal début novembre.

«Sauvez Terra Eco, nous avons besoin de vous»: l'appel de ce mensuel, au bord de la faillite après dix ans d'existence, lui a rapporté plus de 100 000 euros en trois semaines sur Ulule. Grâce à une campagne d'abonnement et à l'apport d'actionnaires extérieurs, il a pu récolter en tout 450 000 euros. «Cela va nous remettre à flots et nous permettre de nous développer en 2015 pour redevenir rentable», assure son directeur de la rédaction, David Solon.

«Charlie est en danger», proclame aussi l'hebdomadaire satyrique sur son site. «Pas question pour nous d'augmenter le prix de vente, pourtant il faut qu'on trouve rapidement les moyens de continuer à exister», plaide-t-il. Un appel au secours qui lui a rapporté 28 000 euros en une dizaine de jours, loin toutefois de son objectif d'un million d'euros.

«On vend 30 000 exemplaires chaque semaine, il en faudrait 35 000 pour être à l'équilibre», explique à l'AFP Charb, directeur de la publication.

Lourdement déficitaire, L'Humanité espère à nouveau lever 1 million d'euros, comme en 2010-2011. L'Huma a vu ses ventes tomber autour des 40 000 exemplaires. «Il n'y a pas d'équilibre à moins de 60 000 exemplaires par jour», s'inquiète son directeur Patrick Le Hyaric. «Cette année, nous serons vraisemblablement à 2 millions d'euros de déficit».

Soins palliatifs

«Il y a une accélération des appels aux dons, qui montre que la crise s'étend désormais à toute la presse», souligne l'économiste des médias Patrick Eveno. «L'appel aux lecteurs est depuis le début du XXe siècle une vieille tradition dans la presse militante d'extrême-droite ou d'extrême gauche».

L'Humanité a ainsi lancé dès les années 20 des comités de défense du quotidien, puis la fête de l'Huma pour sauver le journal, rappelle-t-il. Cette pratique s'est étendue à Libération dans les années 70, puis à des journaux comme Le Monde ou Témoignage chrétien qui ont créé un petit actionnariat des lecteurs.

«Maintenant toute la presse est touchée par la crise: l'appel aux lecteurs est un moyen de trouver un peu de capital relativement facilement, et nous en verrons sans doute d'autres. Mais ce sont des soins palliatifs, qui ne font que reculer les échéances et les sommes en jeu sont très loin des besoins. Cela ne sauvera pas les journaux», conclut-il.

Depuis quelques années, deux systèmes permettent aux journaux de récolter des dons plus facilement. D'une part, les associations Presse et Pluralisme pour la presse écrite et J'aime l'info pour la presse en ligne. Elles récoltent les dons et offrent aux donateurs les avantages fiscaux du mécénat (déduction de 66%, jusqu'à 20% du revenu imposable). Un système réservé aux médias généralistes.

«Aujourd'hui, 36 titres, contre 18 en 2013, sont inscrits au dispositif de Presse et Pluralisme», remarque François d'Orcival, son président. «Ces appels aux dons marchent car les lecteurs des publications d'information générale et politique y sont très attachés».

Une entreprise de presse ne peut en principe bénéficier d'un mécénat. «Mais Presse et Pluralisme agit en faveur de plusieurs journaux, et donc du pluralisme, ce qui la rend éligible» au dispositif, explique Denis Bouchez, directeur général du Syndicat de la presse quotidienne nationale. Bercy a donné son feu vert en 2007.

Autre système pour récolter des fonds: les plateformes de financement participatif, sans défiscalisation mais pouvant mobiliser les internautes, comme Ulule, que la presse utilise de plus en plus.

«En principe, ce système est fait pour aider des projets nouveaux, mais nous avons de plus en plus de titres existants», remarque Mathieu Maire du Poset, directeur général adjoint d'Ulule.