Première femme à la tête du Monde, Natalie Nougayrède part au Guardian, épilogue d'un court passage à la tête de ce journal où elle était arrivée en mars 2013 portée par un plébiscite avant d'être contrainte au départ en mai par une fronde de la rédaction.

Cette journaliste bilingue de 48 ans rejoindra au 1er octobre The Guardian, en tant qu'éditorialiste sur les questions internationales, a annoncé le journal britannique.

«J'ai décidé de quitter Le Monde pour aller vers de nouveaux horizons», a déclaré l'ex-patronne du Monde dans une lettre à la rédaction du prestigieux quotidien français.

«Notre journal (...) a connu au printemps dernier une secousse brutale. Les leçons doivent encore en être pleinement tirées au plan interne. Cette crise, profonde, a montré à quel point l'avenir du journal, qui a été recapitalisé en 2010 pour éviter le dépôt de bilan, met en jeu trois responsabilités croisées. Celle de la rédaction, confrontée à une impérieuse nécessité de réforme et d'adaptation aux changements technologiques (...). Celle de la direction du journal, qui ne peut réussir cette mutation sans une gouvernance claire, où les rôles sont précisément définis, aussi bien au sein du directoire qu'entre celui-ci et la direction de la rédaction», explique-t-elle.

Troisièmes responsables, les actionnaires qui doivent «fournir au Monde les moyens financiers de sa transformation vitale à l'heure de la révolution digitale».

«Le directeur, ou la directrice du Monde, doit être directeur/directrice de la publication, conformément à sa responsabilité ultime de garant du contenu éditorial, de sa qualité et de son indépendance. J'ai à mon tour formulé cette demande avec détermination», dit-elle.

«Le directeur du Monde, qui siège au directoire, doit en outre participer pleinement aux choix éditoriaux quotidiens du journal», estime-t-elle.

Lettre de défiance

Pour succéder à Erik Izraelewicz, décédé le 27 novembre 2012, elle était arrivée à la tête du journal portée par une légitimité qui se fondait sur un parcours reconnu et respecté. Sa candidature avait été approuvée à 79,4% par les 450 membres de la Société des rédacteurs.

Entrée au Monde en 1996, elle avait été correspondante en Ukraine puis à Moscou, avant de rejoindre la rédaction parisienne au service étranger. Elle a reçu en 2005 le prix Albert-Londres pour ses reportages en Tchétchénie et sa couverture de la tragédie de l'école de Beslan.

Pourtant, en mai dernier, les propriétaires du Monde (Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé) la remerciaient et la remplaçaient par un tandem, Gilles van Kote, directeur, et Jérôme Fenoglio, directeur des rédactions, séparant ces deux fonctions comme le souhaitait la rédaction, alors que Natalie Nougayrède cumulait les deux.

En un an, elle était devenue la cible principale des critiques de la rédaction, au point de faire l'objet d'une lettre de défiance.

Les journalistes, tout comme sept rédacteurs en chef qui avaient démissionné de leurs fonctions, lui reprochaient une méthode de direction «isolée, «solitaire», une gestion «autarcique», depuis l'annonce en février d'un plan de mobilité prévoyant le passage d'une cinquantaine de journalistes du papier vers les éditions web.

Le Monde, qui cherche le moyen de redevenir rentable après 2 millions d'euros de pertes en 2013, est sur le point de relancer son plan de réforme interrompu par cette crise. Il envisage notamment de supprimer l'édition papier de son supplément télé du week-end, pour transférer davantage de journalistes vers le web.