La semaine qui vient de se terminer n'a pas été facile pour les femmes journalistes. Jeudi, Le Monde et le New York Times ont tous deux perdu leur patronne, deux femmes dont la nomination avait pourtant été chaudement applaudie. Nathalie Nougayrède avait été élue par 80 % de la salle de rédaction du Monde en mars 2013 alors que le choix de Jill Abramson avait été salué par ses collègues. Or, la première aura régné seulement 15 mois à la tête du Monde tandis que la seconde n'a pas fait trois ans comme directrice du New York Times.

Que s'est-il passé et surtout, y a-t-il un lien à faire entre les deux départs?

Dans le cas de Nathalie Nougayrède, il semble que cette grande reporter international n'ait pas réussi à s'imposer au Monde. Incapable de mettre en place son plan de changement, elle a choisi de quitter son poste. Dans le cas de Jill Abramson, les comptes rendus dans la presse américaine, plus loquace que la presse française, affluent depuis jeudi. Plusieurs raisons expliqueraient son renvoi: son mécontentement lorsqu'elle a appris qu'elle gagnait moins que ses prédécesseurs masculins; son inconfort avec la présence de reportages commandités à la une du journal; son style de gestion.

Dans les deux cas, on a décrit ces femmes comme étant «difficiles, directives, parfois brusques». On a qualifié Mme Nougayrède d'autoritaire, exerçant un style de gestion «à la Poutine». Dans le cas de Jill Abramson, un papier du webzine Politico paru en avril dernier citait plusieurs employés qui, sous le couvert de l'anonymat, la décrivait comme étant condescendante, têtue et impossible. On commentait même le timbre de sa voix qu'on comparait au son nasillard d'un klaxon d'auto... D'autres se demandaient si elle avait le tempérament pour diriger le journal (ironiquement, le remplaçant de Jill Abramson, Dean Baquet, a déjà défoncé un mur d'un coup de poing parce que son texte ne faisait pas la une du journal. Cet excès de colère ne semble toutefois pas l'avoir disqualifié pour diriger le journal).

«Les femmes n'ont pas droit à la colère», note Josée Boileau, rédactrice en chef du Devoir depuis 2009 et seule femme à diriger un quotidien au Québec. Ce «deux poids, deux mesures» ne surprend toutefois pas la patronne du Devoir. «Je fais un rapprochement avec les femmes premières ministres, affirme-t-elle en entrevue à La Presse. Un homme va s'imposer dans une salle de rédaction alors qu'une femme va exercer son leadership en sachant très bien qu'elle doit être souriante, dynamique, avoir le sens de l'humour si elle veut réussir.»

Un modèle pour les femmes

Dire que le renvoi de Jill Abramson a causé une commotion dans le monde médiatique américain est un euphémisme. Depuis jeudi, les réseaux sociaux sont envahis de commentaires et d'analyses. Au New York Times, Abramson était un modèle. Non seulement avait-elle une excellente feuille de route (sous son règne, le New York Times a mérité quatre prix Pulitzer, la meilleure performance du journal en 160 ans) mais elle encourageait ses consoeurs et avait promu plusieurs femmes à des postes stratégiques. Jeudi, ses ex-collègues étaient complètement dévastées. «La colère des femmes journalistes qui s'identifient avec Abramson vient de ce que nous savons, soit qu'une performance excellente n'est pas suffisante», écrivait la professeure de journalisme Emily Bell, vendredi, dans son blogue du Guardian.

La nouvelle présidente du Conseil de presse du Québec, Paule Beaugrand-Champagne, note pour sa part que si les femmes sont peu représentées dans les postes de cadres, c'est souvent parce qu'elles n'osent pas les demander, se disant qu'elles ne seront pas capables. «Moi j'ai très tôt occupé des postes de direction parce que c'est ce qui m'intéressait dans le métier, note cette journaliste qui a travaillé dans presque tous les médias du Québec. Je ne peux pas dire que j'ai fait face à des attitudes sexistes. Par contre, j'ai souvent eu droit à une attitude de surprise de la part des gens qui semblaient se demander comment j'avais pu obtenir ce poste.»

Nombreuses sont celles qui estiment que la fin abrupte de Nougayrède et d'Abramson en découragera plus d'une de rêver diriger une salle de rédaction un jour.

Plus de signatures d'hommes

Vendredi, l'ombudsman du New York Times, Margaret Sullivan, citait une étude du Women Media Center qui note que dans les 10 journaux les plus importants des États-Unis, les hommes signent 63 % des articles du premier cahier. Le New York Times est le journal où le fossé entre les hommes et les femmes est le plus grand: 69 % des signatures du premier cahier sont masculines. De plus, en général, les femmes ont tendance à couvrir des sujets comme la santé et le style de vie alors qu'on retrouve les hommes dans les sujets politiques, criminels et judiciaires.

Moins de femmes patrons

Seulement deux des 25 quotidiens américains les plus importants sont dirigés par des femmes. Selon l'American Society of News Editor, au cours des 15 dernières années, la proportion de femmes employées dans les journaux a à peine bougé: elles représentaient 36 % du personnel en 2012 et 37 % en 1998. Environ 35 % occupaient des postes de supervision en 2012, une proportion qui n'a pas beaucoup changé depuis 1998 alors qu'elles comptaient pour 34 % des postes de supervision.