Après plusieurs prises de bec avec Radio-Canada, l'ancien grand patron de Québecor se porte à la défense de son ancien concurrent. Dans une lettre publiée dans nos pages aujourd'hui, Pierre Karl Péladeau, maintenant député péquiste de Saint-Jérôme, se porte à la défense du diffuseur public. «Nous souhaitons exprimer des préoccupations importantes face au sort réservé par le gouvernement fédéral à Radio-Canada, écrit-il dans une lettre qu'il signe avec son collègue Stéphane Bergeron, député de Verchères. Encore une fois, Ottawa a manqué une occasion de prendre acte de la spécificité du Québec.»

«Ces compressions budgétaires minent les fondements de Radio-Canada, poursuivent-ils, une institution qui exerce un rôle important pour le maintien et le développement de notre industrie culturelle québécoise. De même, Radio-Canada est un acteur fondamental pour une saine et rigoureuse information de la population.»

La sortie de M. Péladeau en surprendra peut-être quelques-uns. En effet, en 2007, Québecor suspendait ses contributions au Fonds canadien de télévision parce qu'il ne voulait pas participer au financement de Radio-Canada. L'année suivante, il intentait des poursuites de 2,1 millions de dollars contre le vice-président de Radio-Canada, Sylvain Lafrance, qui l'avait traité de «voyou». M. Péladeau affirme aujourd'hui que ses différends avec Radio-Canada portaient sur des raisons bien précises: la Loi sur l'accès à l'information, à laquelle le diffuseur public devrait être soumis, et une meilleure gouvernance du Fonds canadien de télévision.

«Contrairement à certains préjugés, je suis radio-canadien, affirme Pierre Karl Péladeau en entrevue à La Presse. J'écoute de façon assidue ses bulletins d'informations et j'apprécie son réseau de correspondants internationaux.»

Est-il d'accord avec ceux qui affirment que le financement de Radio-Canada est insuffisant, lui qui a déjà déclaré que «Radio-Canada dira toujours qu'elle manque d'argent. Même si on lui donnait des milliards de plus, elle en manquerait encore»?

«Cette décision ne m'appartient pas, répond M. Péladeau. Elle revient au gouvernement fédéral». Il ajoute qu'il ferait peut-être d'autres représentations à la défense de Radio-Canada au moment opportun.

Un appel à la conversation

Cette sortie publique de l'ancien patron de Québecor survient au lendemain d'un discours du PDG de Radio-Canada, Hubert T. Lacroix, qui lançait hier une vaste consultation sur l'avenir du diffuseur public. Il veut savoir ce que les Canadiens pensent et, surtout, ce qu'ils attendent de Radio-Canada.

M. Lacroix, qui prenait la parole devant le Cercle canadien de Montréal, estime qu'un débat doit avoir lieu sur l'ensemble de l'écosystème de la radiodiffusion, et pas seulement sur Radio-Canada. «Nous ne sommes pas les seuls à recevoir du financement public, j'aimerais que mes interlocuteurs du secteur privé participent au débat», a-t-il dit.

Pour la première fois depuis l'annonce des compressions de 130 millions qui ont causé l'abolition de 657 postes, M. Lacroix a reconnu que le modèle d'affaires du diffuseur public était à revoir.

«C'est la troisième fois depuis mon entrée en poste, le 1er janvier 2008, que j'annonce des compressions d'envergure, a déclaré M. Lacroix. Ensemble, ces compressions [elles sont d'environ 400 millions de dollars] ont touché l'équivalent de 2107 postes à temps plein.»

«Le moment est venu de se lever et de s'exprimer si la radiodiffusion publique vous tient à coeur», a-t-il ajouté.

Radio-Canada a créé un site où les Canadiens sont invités à répondre à un questionnaire. Ils peuvent également proposer leurs idées sur les plateformes de réseaux sociaux. M. Lacroix, qui doit présenter sa stratégie pour 2015-2020 au début de l'été, dit ne pas vouloir «de rapport qui restera sur les tablettes».

Questionné à propos de la sortie des vedettes de l'information dimanche à l'émission Tout le monde en parle, le patron de Radio-Canada a déclaré que «tout le monde avait droit à son opinion» et qu'il n'avait «jamais bâillonné personne».

De son côté, le président du syndicat des communications de Radio-Canada, Alex Levasseur, qui a lancé un livre blanc sur Radio-Canada la semaine dernière, se réjouit de la sortie de M. Lacroix. «Il vient de se réveiller, il était plus que temps de demander du financement additionnel, dit-il. C'est la première fois qu'il le fait sur la place publique. Jusqu'ici, il disait toujours qu'il pouvait faire avec ce qu'il avait.»