À en juger par le tollé sur les réseaux sociaux, vous êtes nombreux à trouver indéfendable le choix du Rolling Stone de mettre Dzhokhar Tsarnaev, le suspect accusé d'avoir commis (avec son frère) l'attendant à la bombe de Boston, en couverture de son dernier numéro.

Certains pensent que le magazine fait d'un terroriste une rock star, ce qui incitera d'autres jeunes à commettre des actes meurtriers. Deux chaînes de magasins refusent de vendre le numéro d'août avec l'image indigne «par respect pour les familles et les proches des victimes». Le gouverneur du Massachusetts - tout comme le maire de Boston - ont dénoncé ce choix éditorial, le qualifiant «de mauvais goût et de glorification de gestes diaboliques».

Encore une fois, on accuse les médias et on refuse de regarder la réalité en face. Car l'image à la une du Rolling Stone sert tout à fait le propos de l'article publié à l'intérieur: Dzhokhar Tsarnaev n'a pas l'air d'un assassin. Il ressemble davantage au fils du voisin, à peine sorti de l'enfance.

Le directeur artistique a utilisé une photo personnelle et sans retouches de Tsarnaev (qui provient de sa page Facebook et que d'autres médias ont aussi publiée). Eh oui, le diable y a un visage d'ange; une gueule à la Jim Morrison et non pas celle d'un djihadiste portant un turban et une barbe noire et hirsute.

Le diable en nous

Or, cette photo représente la perception que TOUT le monde avait de Jahar (son prénom américanisé), avant avril dernier et les attentats au marathon. La journaliste Janet Reitman a enquêté durant deux mois et interrogé plusieurs de ses amis, voisins, parents et professeurs. Et personne ne se doutait du mal qui rongeait son âme.

En nous montrant l'image en gros plan d'un jeune homme charismatique (tout en le qualifiant en manchettes de «monstre» et de «Bomber»), Rolling Stone montre que le diable est parmi nous. (Comme cet autre étudiant islamiste de l'Université de Sherbrooke, accusé d'avoir voulu poser une bombe dans un train de VIA Rail). Et ce diable-là, il est beaucoup plus troublant que les ogres qu'on a l'habitude de voir à la une des journaux jaunes. Car il nous remet en question.

La fêlure radicale

Avant de juger, il faut bien sûr lire le texte. Son auteure essaie justement de comprendre l'incompréhensible: d'où vient cette faille, cette fêlure, qui pousse un jeune de 18 ans à se radicaliser jusqu'à la démence. Un étudiant aimé et apprécié de tous ses amis qui banalise la vie de pauvres innocents au nom d'une idéologie, d'une religion. Dans son cas, l'influence du frère aîné explique sa conversion à l'islamisme radical. Mais pas uniquement (Jahar n'avait pas beaucoup d'atomes crochus avec son frère). Il y a l'isolement, le vide intérieur, l'éclatement de sa famille, la souffrance et l'exclusion qui peuvent l'expliquer. En partie.

Au lieu de condamner le Rolling Stone, le public américain devrait peut-être se poser la question suivante: comment deux jeunes hommes peuvent-ils s'acheter aussi facilement un arsenal d'armes et d'explosifs sans jamais éveiller le moindre soupçon? Il devrait aussi se demander pourquoi, dans leur pays qui s'est bâti sur l'immigration, le «melting pot» et la tolérance religieuse, une partie de plus en plus importante de sa population a l'impression de ne pas avoir accès au rêve américain ou d'être stigmatisée parce qu'elle croit à un autre Dieu.

Et, surtout, se rappeler une chose: bien que les médias versent parfois dans la dérive et le sensationnalisme, ce ne sera jamais la une d'une revue vendue en kiosque qui va tuer, mais l'aveuglement et la démence des hommes qui croient que leur cause est plus importante que la vie des autres.