La conférence de presse du frère du maire de Toronto hier après-midi n'a pas réussi à faire taire les rumeurs à propos d'une vidéo qui montrerait Rob Ford en train de fumer du crack. Deux reporters du Toronto Star affirment avoir vu la fameuse vidéo et assurent qu'il s'agit bien du maire de la métropole ontarienne. Mais personne ne peut confirmer l'information puisque le document est entre les mains de revendeurs de drogue qui exigent 200 000$ en échange des images incriminantes.

Le Toronto Star aurait-il publié la nouvelle si le site Gawker ne l'avait pas fait le premier, jeudi soir dernier? Probablement pas. Les reporters du quotidien torontois disent avoir visionné la vidéo le 3 mai dernier. Ils possédaient donc l'information depuis plus de deux semaines. Pourquoi n'ont-ils rien dit?

C'est simple: parce qu'ils ne pouvaient pas confirmer l'authenticité de la vidéo. Sur le plan journalistique, il n'y avait tout simplement pas suffisamment d'éléments pour publier un reportage qui respectait les normes déontologiques en vigueur.

Mais voilà, jeudi soir, un rédacteur de Gawker a twitté avoir visionné la vidéo du maire Rob Ford fumant du crack. Pour ceux qui ne connaissent pas Gawker, il s'agit d'un site qui regroupe plusieurs blogues (potins, sports, style de vie, etc.). En 2010, un de ses blogues, Gizmodo, a payé 5000$ pour obtenir le prototype du iPhone 4 qu'un employé d'Apple avait oublié dans un bar de New York en 2010. Son slogan: «Les potins d'aujourd'hui sont les nouvelles de demain», en dit long sur sa vision de l'information. Bref, Gawker n'est pas une entreprise journalistique, il n'est donc pas surprenant qu'il ait lancé une collecte de fonds pour recueillir les 200 000$ réclamés par les vendeurs de drogue de Toronto.

Source criminelle

Par contre, on peut s'interroger sur la décision du Toronto Star, média d'information sérieux, de publier une nouvelle dont la source est criminelle.

Faut-il s'inquiéter de cette dérive? C'est ce qu'estiment Romayne Smith Fullerton, professeure associée à la Western Ontario University, et Maggie Jones Patterson, professeure de journalisme à la Duquesne University à Pittsburgh. Dans une lettre publiée sur le site journalistique J-Source, elles écrivent que jusqu'ici, cette vidéo n'est qu'une source de potins, pas d'information. «La presse a le devoir de vérifier l'information», disent-elles en substance. Le problème, selon elles, c'est que les médias se sont trop avancés et que leur énergie sera désormais consacrée à démontrer que l'information qu'ils ont diffusée est vraie plutôt qu'à chercher la vérité.

Trop orthodoxe comme position? Le secrétaire général du Conseil de presse du Québec, Guy Amyot, croit pour sa part que la décision du Star peut être justifiée. «Une fois que Gawker a sorti l'information, le fardeau de la preuve repose sur eux, souligne-t-il. Les journalistes du Toronto Star ont la certitude que la vidéo existe puisqu'ils l'ont vue. En outre, il y a une question d'intérêt public, les gens ont le droit de savoir que leur maire consomme de la drogue. Et compte tenu des antécédents du personnage, l'information est plausible. Ils avaient sans doute des débats à l'interne à savoir s'ils sortaient ou pas la nouvelle. La sortie de Gawker aura [...] fait pencher la balance du côté de la publication.»