Le gouvernement Harper aura-t-il son mot à dire sur les conditions de travail des journalistes de Radio-Canada? Pourra-t-il s'ingérer dans les ressources allouées à l'information ou à la culture?

C'est ce que fait craindre le projet de loi C-60 actuellement à l'étude à Ottawa. Cette loi, si elle était adoptée, accorderait au gouvernement fédéral un droit de regard sur la gestion des finances des sociétés d'État comme Via Rail, Postes Canada et... Radio-Canada.

La nouvelle fait beaucoup de vagues au Canada anglais, mais étonnamment, elle ne suscite pas beaucoup de réactions au Québec. C'est pourtant l'autonomie de Radio-Canada qui est en jeu. Comme le rappelle le président du Syndicat des communications Alex Levasseur, c'est la libre négociation et l'indépendance de la société d'État qui sont en jeu. Les avocats du Syndicat examinent d'ailleurs le projet de loi pour voir s'il ne contrevient pas à la Loi sur la radiodiffusion, censée protéger Radio-Canada de toute ingérence politique.

Un des articles du projet de loi C-60 stipule en effet que la société d'État visée ne pourrait pas conclure de conventions collectives sans l'approbation du Conseil du Trésor. Le gouverneur en conseil pourrait en outre «ordonner à une société d'État d'obtenir l'approbation du Conseil du Trésor avant de fixer les conditions d'emploi de ses employés non syndiqués qui ne sont pas nommés par le gouverneur en conseil».

Les syndicats représentant les employés des principales sociétés d'État touchées par ce projet de loi doivent tenir une conférence de presse à Ottawa ce matin en compagnie du NPD, qui a lancé une pétition pour dénoncer C-60. «Je négocie le renouvellement de ma convention collective depuis octobre dernier, rappelle Alex Levasseur. Si la loi est adoptée, le gouvernement pourrait venir faire pression sur le déroulement des discussions sans que je puisse riposter, puisqu'il ne constitue pas la partie patronale.» Ce droit de regard sur le déroulement des négociations pose une question encore plus grave: comment Radio-Canada pourrait-elle «couvrir» les activités du gouvernement si ce dernier peut exercer un quelconque pouvoir sur sa gestion?

«Le Conseil du Trésor pourrait dire, par exemple: on aimerait que vous diminuiez le nombre d'employés permanents, poursuit Alex Levasseur. Or, qu'arrive-t-il lorsque le statut des journalistes est précaire? Ils n'ont pas les coudées franches pour faire leur travail de la même manière que si leur emploi est protégé.»

Le Conseil du Trésor va-t-il décider des salaires de Guy A. Lepage et de Véro? La boutade est de Florian Sauvageau, professeur au Département d'information et de communication et directeur du Centre d'études sur les médias à l'Université Laval. Il rappelle que ce projet de loi s'ajoute à d'autres décisions qui font craindre pour l'indépendance de la société d'État. «Le conseil d'administration de Radio-Canada n'a jamais été autant truffé d'amis politiques, souligne-t-il. Sous les libéraux - et je le dis sans partisanerie, je ne suis ni libéral ni conservateur -, il n'y avait pas de nominations politiques de la sorte. Or on sait à quel point l'arrière-ban conservateur déteste Radio-Canada. C'est inquiétant. Une télé publique doit être indépendante.»