Depuis hier, un texte publié sur le site Politico.com fait réagir le milieu médiatique américain. Dans Turbulences at The Times, le journaliste Dylan Byers décrit une récente prise de bec entre la grande patronne du New York Times, Jill Abramson, en poste depuis un an et demi, et son directeur de l'information, Dean Baquet.

Voix haut perchées, claquage de porte, la scène aurait pu se dérouler dans n'importe quelle salle de rédaction. Normal. Dans un quotidien, le niveau de stress est parfois élevé, la pression est forte, et il faut livrer la marchandise.

Le journaliste de Politico poursuit, citant des sources anonymes: Mme Abramson serait distante, froide, parfois cassante. Elle a un ton de voix désagréable. Parfois, elle a l'air d'être dans sa bulle. Ces commentaires ne sont pas nouveaux. On pouvait les lire dans un portrait de Jill Abramson publié dans le New Yorker en septembre 2011. Dans ce texte, le journaliste Ken Auletta écrivait que les collègues de Mme Abramson la trouvaient intimidante et brusque et parfois trop en retrait.

Mais à l'exception de sa personnalité, qu'a-t-on à reprocher à la patronne du prestigieux quotidien? Pas grand-chose. Même que certains employés interviewés disent qu'ils souhaiteraient la côtoyer davantage, qu'ils apprécient sa grande intelligence, que sa présence dans la salle fait une différence. On note en outre que le New York Times est en nomination pour quatre prix Pulitzer - une de ses meilleures performances en 160 ans - et que le journal a fait une très bonne couverture des attentats de Boston. «Le New York Times continue d'être un excellent journal, écrit-on, et malgré les frustrations dans la salle de rédaction, Jill Abramson y est respectée, et personne ne doute ni de sa sagesse ni de son expérience.»

Deux poids, deux mesures?

Où est le problème alors? Serions-nous face à un cas de deux poids, deux mesures? Devant une situation semblable à ce que décrit Sheryl Sandberg, patronne de Facebook, dans son livre Lean In, à savoir que plus les femmes grimpent les échelons, moins on les aime? On dirait bien que oui.

Vers la fin du texte, qu'on peut qualifier de bâclé, l'auteur raconte une autre anecdote impliquant le même directeur de l'information, Dean Baquet: «Baquet est l'opposé d'Abramson, peut-on lire. Il a le moral de ses journalistes à coeur et s'inquiète d'être aimé de ses employés. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir ses propres problèmes. Quand il était chef du bureau de Washington, il a déjà défoncé un mur avec son poing parce que son texte ne faisait pas la une. Mais les gens se rappellent l'incident avec tendresse...»

Imaginons un instant la même scène, mais avec une femme: on l'aurait traitée d'hystérique, d'émotive, d'inapte à occuper un poste de chef de bureau. Décidément, ce texte ne fait pas honneur à Politico, qui jouit habituellement d'une bonne réputation. Les réactions des autres médias n'ont d'ailleurs pas tardé à fuser: toutes fustigent Politico. Preuve encourageante que le sexisme passe moins bien qu'avant.

Jill Abramson en cinq dates

> Reporter à Washington pour le Wall Street Journal (1988-1997)

> Passage au New York Times (1997)

> Chef du bureau de Washington du New York Times (2000)

> Première femme nommée à la tête du New York Times (juin 2011)

> A publié trois livres, dont The Puppy Diaries: Raising a Dog Named Scout (octobre 2011)