Instagram représente-t-il une menace pour la photographie de presse? C'est la question qui a fusé à la suite de la publication d'une photo prise à l'aide de l'application pour téléphone mobile à la une du New York Times la semaine dernière. La photo en question - le portrait d'Alex Rodriguez, des Yankees de New York - avait pourtant été prise par un photographe professionnel, Nick Laham, et non par un amateur.

Ce n'est pas la première fois que la publication de photos de presse prises à l'aide de téléphones mobiles soulève les passions dans l'univers des médias d'information.

Il y a quelques années, le New York Times (encore lui) a publié un photoreportage sur l'Afghanistan réalisé par le photographe de presse Damon Winter. Les clichés, magnifiques, avaient ceci de particulier qu'ils avaient été pris à l'aide d'Hipstamatic, une application qui baigne les photos d'une lumière verdâtre assez dramatique. Le débat qui avait fait rage par la suite - peut-on parler d'information lorsqu'on est devant l'utilisation d'effets visuels, de retouches, etc. - se répète aujourd'hui.

Certains professionnels de la photo de presse estiment qu'en offrant une telle vitrine à des images prises avec des téléphones mobiles et esthétisées à l'aide de filtres, on manque de respect par rapport au travail des photographes professionnels, tout en violant les règles de déontologie qui régissent la presse. L'an dernier, le photographe réputé Nick Stern déclarait à CNN : « Chaque fois qu'une entreprise de presse utilise une photo prise à l'aide d'Hipstamatic ou d'Instagram dans un reportage, il nous trompe. Car ce n'est pas le photographe qui communique une émotion dans l'image. Ce n'est pas la douleur, la souffrance ou l'horreur qui s'en dégage. C'est le travail d'un concepteur d'application à Palo Alto qui décide qu'une ombre ou un contour diffus fera une plus belle image. L'image qu'on nous présente n'aura donc pas existé ailleurs que dans l'oeil de ce concepteur de Palo Alto. «

Dans le milieu de la photographie de presse, les avis sont partagés. La réponse la plus intéressante aux propos de Stern est venue de l'éditrice photo du site Slate, Heather Murphy. En gros, Mme Murphy affirmait être d'accord avec son collègue à propos de l'utilisation des filtres. Elle croyait aussi qu'il y avait quelque chose de bidon à retoucher les photos de presse. Par contre, elle se disait en total désaccord avec le postulat de base du raisonnement de Stern. « Instagram n'est pas une menace pour le photojournalisme, affirmait-elle. La véritable menace vient du fait que les photographes de presse refusent de travailler avec cette plateforme. S'ils y consacraient un peu plus de temps, ils découvriraient qu'Instagram, c'est bien plus que ces filtres donnant un faux aspect vintage. C'est une communauté de millions de passionnés de photo, impatients de s'enrichir de leur travail et des normes les plus rigoureuses du journalisme. «

Heather Murphy n'est pas la seule à défendre ce point de vue. Un collègue de la radio publique américaine NPR, John Poole, s'est lui aussi publiquement prononcé sur la question. Photographe et vidéaste, M. Poole estime que de nombreux photographes de presse laissent passer une occasion en croyant que leur réputation serait « salie « s'ils touchaient à Instagram.

Le temps risque de donner raison au camp de Murphy et Poole. En effet, étant donné l'importance du New York Times dans la communauté journalistique internationale, il y a fort à parier que les incursions du prestigieux quotidien dans l'iPhonographie (photo à l'aide d'un iPhone) influenceront les autres médias. Reste à espérer que les médias qui emboîteront le pas publieront des photos de la même qualité que celles de Damon Winter et de Nick Laham.

#ONAIME

La galerie de photos des joueurs des Yankees de New York prise par le photographe Nick Laham. On peut les voir sur son blogue, dans la section Athletes: https://www.nicklaham.com/blog/

#ONNOTE

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