Les médias américains auraient-ils mieux couvert la guerre en Irak si les journalistes avaient eu accès à Twitter en 2003? C'est ce que croit le journaliste Jonathan Landay qui a couvert le conflit pour les journaux de Knight Ridder, aux États-Unis. À l'époque, Landay n'a pas cru la thèse des armes de destruction massive (ADM). Invité à l'émission Q sur les ondes de Radio One (CBC) pour souligner le 10e anniversaire de l'invasion américaine, Landay a confié à l'animateur Jian Ghomeshi: «Je crois que si Twitter et Facebook avaient existé à l'époque, j'aurais pu diffuser plus largement mes reportages, ce qui aurait forcé la Maison-Blanche à modifier son discours.»

En effet, Landay est un des rares journalistes (avec Robert Fisk et quelques autres) à avoir réfuté les dires du gouvernement Bush. «Des armes de destruction massive après l'inspection en règle de l'ONU? Ça ne tenait pas debout, dit-il. Mon collègue Warren Strobel et moi avons donc fait notre travail, c'est-à-dire que nous posions des questions.»

Les reportages de Landay et Strobel allaient tellement à contre-courant de ce qui s'écrivait dans les autres médias que certains journaux du groupe Knight Ridder ont refusé de publier leurs articles sous prétexte que «ce n'était pas dans le New York Times». «Il faut savoir que la trentaine de journaux du groupe Knight Ridder, aujourd'hui McClatchy, ne sont pas présents dans les grands marchés comme New York ou Washington, a expliqué Jonathan Landay sur les ondes de CBC. Ils ne s'adressent pas à ceux qui envoient des soldats en Irak, mais plutôt aux parents des jeunes qui vont se battre.»

Le témoignage de Landay s'ajoute à la longue liste de critiques sur la couverture médiatique américaine de la guerre en Irak, couverture qui a souvent été qualifiée de «désinformation». Comment oublier «Operation Freedom» de Fox News, avec le petit drapeau des États-Unis flottant dans un coin de l'écran? La chaîne d'information la plus écoutée durant la guerre était devenue un porte-voix patriotique. De son côté, le chef des nouvelles de la chaîne CNN avait dû s'excuser après avoir admis que son réseau avait gardé pour lui des informations à propos de Saddam Hussein pour ne pas mettre en danger la vie des membres de son personnel. On lui avait reproché d'avoir joué le jeu du ministère de l'Information irakien en échange d'une permission de diffuser en direct de Bagdad. Le New York Times aussi s'est excusé, reconnaissant que ses journalistes «auraient dû examiner les affirmations à propos des armes de destruction massive». Il a également montré la porte à sa journaliste Judith Miller, qui avait signé plusieurs reportages à propos des ADM contenant des informations inexactes ou carrément fausses. Bref, cette guerre n'a pas été un moment glorieux pour les grands médias américains. Par contre, elle a permis au public de découvrir de nouveaux joueurs comme Al-Jazeera, que plusieurs ont accusé d'être trop proarabe, et dont les bureaux à Bagdad avaient été attaqués par l'armée américaine en avril 2003, tuant le journaliste Tareq Ayyoub.

Peut-on penser que la couverture médiatique serait plus rigoureuse si cette guerre avait lieu aujourd'hui? Jonathan Landay ne le croit pas. «L'accès aux sources officielles est encore plus difficile et des journalistes qui, comme moi, font de l'enquête, sont une espèce en voie de disparition», a-t-il déclaré à CBC. Des propos confirmés par l'étude State of the Medias 2013 publiée il y a quelques jours par le Project for Excellence in Journalism du Pew Research Center. Les auteurs de cette enquête notent qu'avec la crise des médias, il y a moins de journalistes dans les salles de nouvelles et donc moins de ressources pour enquêter. Ils donnent comme exemple la couverture de la dernière campagne présidentielle, durant laquelle on comptait plus d'articles superficiels reprenant le discours officiel que de reportages en profondeur. Difficile de jouer son rôle de chien de garde dans un tel contexte.