Depuis le 20 janvier, les émissions de la chaîne vénézuélienne Telesur viennent démontrer aux médias officiels cubains, réputés pour leur médiocrité et leur immobilisme, qu'il est possible de présenter des émissions à la fois inventives et ouvertes, sans toutefois renoncer à l'idéologie.

«Je sais désormais que le journalisme militant de gauche n'a pas nécessairement besoin d'être monotone ni pontifiant, mais qu'il peut être conçu de manière audacieuse, insouciante, immédiate et, surtout, transparente. Cela peut être du journalisme et non du pamphlet», écrivait récemment la journaliste cubaine Gisselle Morales sur son blogue (cubaprofunda.wordpress.com).

Telesur «place la télévision nationale face à un dilemme: dépasser des décennies d'étatisme ou perdre définitivement son audience», estime-t-elle.

Le signal de Telesur, chaîne latino-américaine très orientée à gauche créée en 2005 sous l'impulsion du président vénézuélien Hugo Chavez, a commencé à être diffusé à Cuba le 20 janvier à raison de 13 heures par jour sur le canal de Canal Educativo 2, une des cinq chaînes nationales cubaines.

Son arrivée dans le paysage télévisuel cubain survient à un moment où de nombreux intellectuels locaux s'en prennent de plus en plus aux médias du pays. Leur contenu est jugé obsolète, ennuyeux, parcellaire, ou même insipide, jusqu'au sein du Parti communiste qui les contrôle entièrement.

Le président Raul Castro s'est lui-même joint à ce flot de critiques le mois dernier en se faisant l'avocat d'un «journalisme objectif et d'investigation, qui permette de bannir l'autocensure, la médiocrité, le langage bureaucratique et édulcoré, le recours à la facilité, la rhétorique, le triomphalisme et la banalité».

Le président Raul Castro a initié un certain nombre de réformes, notamment économiques, et certains signes d'ouverture, mais les médias nationaux continuent de suivre un modèle éculé.

Le cas du journal télévisé illustre à merveille le marasme journalistique actuel au sein des médias d'État, où sévit une autocensure confinant parfois au rejet du bon sens. L'information la plus importante de la journée est parfois reléguée en fin d'édition, voire totalement oubliée pour être diffusée deux jours plus tard, comme ce fut le cas il y a un an lorsque le Vatican avait annoncé une visite du pape Benoît XVI sur l'île communiste.

Le peuple «a perdu confiance» dans les médias cubains

À Cuba, l'accès aux médias étrangers est extrêmement limité, comme celui à internet qui relève officiellement d'un «usage social», réservé aux administrations, aux touristes, aux universités et à quelques rares professions.

Le quotidien officiel du parti, Granma, titre parfois sur des récits lénifiants d'évènements liés à la lutte révolutionnaire dans les années 1950 et consacre ses colonnes à des thèmes souvent très éloignés des préoccupations des Cubains.

En outre, il n'est pas rare qu'un article déjà publié par plusieurs journaux soit lu in extenso à l'antenne de la télévision et de la radio.

Le «résultat principal et le plus dangereux» des manquements de la presse cubaine «c'est la méfiance (des Cubains) quant à la véracité des informations qu'elle publie. Le lecteur a perdu confiance dans l'information nationale comme internationale qui est publiée», expliquait le politologue Esteban Morales lors d'un récent forum organisé par la revue catholique Espacio Laical («Espace Laïque»).

La principale cible des pourfendeurs de la presse cubaine est le Département idéologique du parti, qui contrôle étroitement les médias sur un mode dogmatique digne de l'époque soviétique.

Pour fonctionner correctement, «la presse ne peut pas rester suspendue à un organe de contrôle externe, qui au-dessus d'elle l'autorise à divulguer une information», assurait lors de ce forum le sociologue Aurelio Alonso.

«L'indépendance de la presse ne viendra pas avec une concession, mais lorsque ceux qui la contrôlent comprendront qu'ils ont besoin d'elle pour débattre avec la société, savoir ce qui se passe, ou prendre le pouls de l'opinion publique», plaidait de son côté le journaliste Jorge Gomez Barata, lui-même ancien fonctionnaire du Département idéologique du parti.