Pour les journalistes, couvrir un drame de l'ampleur de la tuerie de Newtown n'est pas évident. Les informations sortent au compte-gouttes et la machine à rumeurs s'emballe dans le temps de le dire. Sur la scène de la tragédie, l'effet de meute est puissant et le journaliste doit savoir garder la tête froide malgré la pression, tout en enfouissant les émotions qu'il peut ressentir devant le drame.

Est-ce que les journalistes relèvent parfaitement le défi chaque fois? Bien sûr que non. Il y a des excès, des dérapages, des erreurs. Voilà pourquoi, au lendemain d'une tragédie, la communauté journalistique se remet presque toujours en question: sommes-nous allés trop loin? Comment pourrions-nous mieux faire notre travail la prochaine fois?

Au Québec, le Conseil de presse, à la demande du coroner Yvon Garneau, est justement en train de mener une étude sur la couverture des drames familiaux, question de suggérer certaines lignes directrices afin d'éviter les débordements et l'effet d'entraînement qu'ils peuvent provoquer.

Cette remise en question s'imposera lorsque le calme sera revenu dans la petite ville de Newtown. Car, cette fois encore, et peut-être davantage que dans les cas précédents, les médias ont dépassé les bornes. Comment? En interviewant de jeunes enfants, âgés de 6, 7 ou 8 ans, témoins de la fusillade. De rôle important, voire primordial, le travail journalistique s'est soudainement transformé en comportement indécent...

État d'esprit défavorable

Il n'y a pas de règles écrites concernant les entrevues de jeunes enfants. Chaque média s'impose un code de conduite. À CNN, Wolf Blitzer a précisé que les journalistes ne posaient aucune question aux enfants sans l'autorisation des parents. Comme si les parents de ces enfants étaient dans un état d'esprit qui leur permette de prendre une telle décision! Ils viennent à peine d'apprendre que leur enfant a miraculeusement survécu à un carnage. Sans compter que bien des gens sont incapables de dire non lorsqu'on leur braque un micro sous le nez. C'est aux médias de faire preuve de responsabilité et d'éthique en s'interdisant d'interviewer des enfants dans de telles circonstances.

L'autre objet d'un éventuel examen de conscience journalistique sera sans aucun doute le nombre effarant de fausses informations qui ont circulé dans les heures qui ont suivi le drame. L'identité du tueur, les liens de sa mère avec l'école, son profil Facebook, la façon dont il est entré dans l'école... La police de Newtown a même menacé de poursuite ceux qui propageraient de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. Le problème, c'est que la plupart de ces informations - le nom du frère du tueur, par exemple, provenaient non pas de Twitter ou de Facebook, mais bien des médias traditionnels comme CNN ou CBS. La police va-t-elle les poursuivre aussi? Est-ce que la propagation d'informations erronées est évitable dans de telles circonstances? Répondre oui, c'est refuser de faire face à la réalité et à la façon dont l'actualité brûlante est couverte aujourd'hui. Quand un journaliste couvre un événement en direct, il n'a plus le choix d'utiliser Twitter, et les risques de dérapage sont nombreux. Que faire alors?

Sur le blogue gigaom.com, le journaliste Matthew Ingram note qu'un retour en arrière est impossible. «On ne peut plus faire entrer le génie dans la bouteille», écrit-il. Par contre, on peut adopter de nouvelles façons de travailler afin de limiter les dégâts. Un exemple: durant le printemps arabe, le journaliste de NPR Andy Carvin s'est construit un réseau de sources sur le terrain, auprès desquelles il vérifiait chaque information qui circulait sur Twitter. C'est une méthode à retenir. Il y en a d'autres, qu'il faudra absolument considérer une fois la poussière retombée.