Le mal était sérieux, le remède proposé l'est encore plus. Le rapport Leveson publié jeudi dernier est catégorique: il doit y avoir un organisme qui encadre davantage les pratiques journalistiques en Grande-Bretagne.

Rappelons les faits qui ont mené à ce rapport qui porte le nom de Lord Brian Leveson, à qui le premier ministre britannique a demandé d'examiner les pratiques de la presse britannique: en 2009, le quotidien The Guardian révèle qu'environ 3000 personnalités du monde du sport, du spectacle et de la politique ont été victimes d'écoutes illégales mises en place par des journalistes du tabloïd The News of The World (NOTW), avec l'accord de la direction. Interrompue, l'enquête reprend en janvier 2011. Le nombre des victimes passe à 4000. Quelques mois plus tard, le Guardian publie une enquête qui révèle que le NOTW a piraté le téléphone portable d'une adolescente de 13 ans assassinée en 2002. Non seulement écoutaient-ils ses messages, mais ils en effaçaient certains lorsque la boîte vocale était pleine. C'est la goutte qui fait déborder le vase. Au fil des jours, d'autres pratiques on ne peut plus condamnables - le piratage de téléphones appartenant à des soldats morts en Afghanistan par exemple - mènent à la fermeture du tabloïd, propriété de Rupert Murdoch qui possède aussi le Wall Street Journal et le réseau FOX, aux États-Unis.

Dans les semaines et les mois suivants, plusieurs personnes - dont des dirigeants du tabloïd en question - sont arrêtées et on met sur pied une commission parlementaire. On y apprendra entre autres les liens qui unissaient la famille Murdoch, certains politiciens, des journalistes et le chef de police.

Les tabloïds britanniques ont toujours eu une réputation sulfureuse: gros titres tapageurs, dévoilement de détails personnels sur la vie publique des personnalités publiques, photos de filles à moitié nues et méthodes d'enquête qui font passer nos tabloïds québécois pour des feuillets paroissiaux. Cette fois pourtant, l'opinion publique est indignée. Dans un tel contexte, la dureté des propos de Lord Leveson n'est pas surprenante. Dans un rapport qui compte 2000 pages (un résumé de 56 pages est disponible), Lord Leveson recommande donc la création d'un organisme réglementaire indépendant, auquel les journaux auraient le droit d'adhérer sur une base volontaire, organisme qui pourrait imposer des amendes allant jusqu'à 1,6 million de dollars aux journaux qui violent les règles. Une loi encadrerait l'application des nouvelles règles régies par cet organisme.

Après avoir rencontré 600 témoins, Lord Leveson dit être arrivé à la conclusion que les gens s'attendent à ce que les journaux soient des produits de qualité. Or, dit-il, les tabloïds affichent une indifférence marquée pour l'inexactitude et un manque de respect pour les libertés individuelles.

Lord Leveson en profite aussi pour critiquer au passage les politiciens qui, selon lui, entretiennent des liens trop étroits avec les propriétaires d'entreprises médiatiques. Il reproche en outre à la police d'avoir mal fait son travail et critique les tabloïds britanniques pour leur attitude sexiste et méprisante à l'endroit des femmes.

Dire que les recommandations de Lord Leveson ont mal été mal accueillies par la presse britannique est un euphémisme. Le rapport n'était pas encore publié que déjà des lettres ouvertes dans les journaux défendaient la liberté de presse et rejetaient l'idée d'une loi ou d'un organisme pour encadrer davantage ses pratiques. Il faut dire que la dernière loi britannique soumettant la presse à l'emprise du gouvernement remonte à 1694.

Pas étonnant, dans ce cas, que le premier ministre David Cameron se soit opposé à l'adoption d'une nouvelle loi. Que faire dans ce cas pour limiter les excès d'une presse qui ne semble pas avoir beaucoup de scrupules?

Une partie de la réponse se trouve dans l'éditorial du New York Times paru sur le site web du quotidien le jour même de la publication du rapport Leveson.

On y rappelle que l'indépendance de la presse est essentielle, en Angleterre comme ailleurs. On y souligne aussi que les infractions commises par The News of The World - piratage des boîtes vocales de citoyens ordinaires, obtention illégale des dossiers médicaux, etc. - ne relèvent pas de la pratique journalistique acceptée. Ce sont des actes interdits qui contreviennent déjà à des lois existantes. Il existe donc déjà des recours légaux et il serait inutile d'en créer d'autres. D'autres voix se sont élevées pour rappeler qu'une nouvelle loi serait complètement inutile puisqu'elle ne s'appliquerait pas à l'internet et donc aux blogues et autres médias numériques.

Reste à voir si les pressions des victimes, de l'opinion publique et de l'opposition auront raison de la volonté du premier ministre Cameron à ne pas limiter la liberté de la presse britannique.