Revenons six mois en arrière. Nous sommes en plein conflit étudiant et, dans les soupers de famille et d'amis, c'est pratiquement le seul sujet de discussion. Sur les réseaux sociaux aussi. Et presque tout le monde a son opinion à propos du travail des médias.

Tel journal est trop pro-gouvernement, tel autre est trop pro-étudiant, chacun y va de ses critiques.

Qui dit vrai? Une étude réalisée par des chercheurs du Centre d'études sur les médias de l'Université Laval a analysé le contenu des quatre quotidiens payants de la région montréalaise pour le savoir. Au total, on a scruté 4000 articles publiés dans le Journal de Montréal, Le Devoir, The Gazette et La Presse entre le 13 février et le 23 juin dernier (à l'exception des photos, des caricatures et des titres). Les résultats préliminaires de l'étude ont été présentés aux journalistes membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) réunis en congrès le week-end dernier.

Certains résultats confirment des évidences: par exemple, la majorité des chroniqueurs du Journal de Montréal étaient pro-gouvernement alors que la couverture du quotidien Le Devoir était pro-étudiante. Le traitement des «carrés rouges» par The Gazette était lui aussi négatif. C'est toutefois La Presse qui a présenté la couverture la plus équilibrée (60% de ses articles n'avaient pas d'orientation favorable ni défavorable à l'endroit des protagonistes).

Pour en arriver à ces constats, les chercheurs ont pris soin d'identifier les protagonistes en jeu (le gouvernement et les quatre associations pour ou contre la hausse), de définir les termes utilisés dans leur recherche (un texte pouvait être favorable, très favorable, défavorable ou très défavorable). Les auteurs de l'étude font également la distinction, primordiale, entre textes journalistiques, analyses, chroniques, éditoriaux et lettres d'opinion des lecteurs.

Trois des quatre quotidiens ont offert une couverture composée à 53% d'articles de nouvelles, de portraits et d'entrevues, une proportion qui chute à 41% au Devoir. Le Journal de Montréal est le quotidien qui a publié le plus grand nombre de chroniques alors que Le Devoir est celui qui a consacré la plus grande part de sa couverture (33%) aux lettres d'opinion et de lecteurs.

Enfin, parmi les aspects à améliorer, les journalistes retiendront sans doute la trop petite part faite à l'analyse durant le conflit: entre 2 et 7% de leur couverture, selon le journal (c'est Le Devoir, avec 7%, qui en a fait le plus).

Voilà pour les statistiques. Le Centre d'études sur les médias publiera un rapport plus complet dans quelques mois.

Au-delà des chiffres, toutefois, il y a les perceptions. Pour cette raison, il était intéressant d'entendre Gabriel Nadeau-Dubois, ancien porte-parole de la CLASSE, venir présenter son point de vue sur le travail des médias dans le cadre du congrès.

M. Nadeau-Dubois a rappelé que les mots avaient été utilisés comme des armes dans ce conflit. L'emploi du terme «boycott» plutôt que «grève» était une tentative du gouvernement de miner la légitimité du mouvement étudiant. Tout comme l'emploi délibéré du mot «CLASSÉ» plutôt que CLASSE avait une connotation négative, selon lui.

À la question qui a obsédé bien des journalistes durant le conflit - «pourquoi les militants étudiants étaient-ils agressifs à l'endroit des médias?» -, l'ex-porte-parole a répondu que, selon lui, c'était en raison du fossé qui existait entre ce qu'ils vivaient et ce qui était rapporté par les médias.

Gabriel Nadeau-Dubois n'était pas le seul non-journaliste invité par la FPJQ à disséquer la couverture médiatique du printemps dernier. En après-midi, dans un atelier sur la police et les journalistes, c'était au tour du chef du SPVM, Marc Parent, d'exposer son point de vue.

La discussion, nécessaire, a montré la profondeur du fossé qui sépare ces deux groupes de la société. Deux solitudes qui ont toutefois fait l'effort de dialoguer, de tenter de trouver un terrain d'entente afin que chacun puisse faire son travail. Un défi de longue haleine.

Ce qu'on retient de cette journée de discussions autour de la couverture médiatique de la crise sociale qu'a vécue le Québec, c'est que le travail journalistique n'est pas vraiment compris, ni des différents acteurs de la société ni du grand public. De part et d'autre, on projette ses attentes, ses perceptions et ses préjugés sur les médias. Lorsqu'on lit les articles ou qu'on regarde les reportages, on est déçu du résultat.

Plusieurs questions sont restées sans réponse et bien des aspects du travail journalistique n'ont pas été abordés, par manque de temps ou de volonté. Reste que cet exercice de réflexion proposé par la FPJQ est bénéfique pour les journalistes qui n'ont pas souvent l'occasion de s'arrêter pour réfléchir à leur travail et le critiquer. C'est sain.