«Mon profil internet et ma carrière sont insuffisants», écrit sur son compte Twitter Ramon Lobo. Reporter de guerre et l'une des grandes plumes d'El Pais, il fait partie de la liste des 129 licenciés du premier journal espagnol, en pleine crise du secteur.

«Ils m'ont convoqué par courriel un dimanche: «Vous devrez vous présenter...» pour me faire part de mon licenciement. Après 17 ans, je suis un numéro», écrit aussi sur un ton amer Manuel Cuellar sur Twitter, un autre grand nom qui disparaît du journal avec Javier Valenzuela, José Yoldi ou encore Javier Martinez Lazaro.

Créé en 1976 durant la transition démocratique de l'après-franquisme, El Pais, propriété du premier groupe de médias espagnol Prisa, a dévoilé le 9 octobre un plan social comprenant 149 suppressions de postes, soit près du tiers d'un effectif de 466 salariés, dont 129 licenciements et 20 départs en pré-retraite pour les plus de 59 ans.

Même si ce plan s'inscrit dans une crise qui a déjà touché cet été l'autre grand journal espagnol El Mundo, mais aussi d'autres à l'étranger (New York Times, Le Monde, Guardian), l'annonce a fait l'effet d'une bombe.

Car les salariés dénoncent des licenciements abusifs et des baisses de salaires pour les employés, tandis que la direction se verse des salaires mirobolants, dont 13 millions d'euros en 2011 au PDG du groupe Prisa et de El Pais, Juan Luis Cebrian.

Ils fustigent une liste nominative de journalistes remerciés établie par la direction sur des critères très contestés.

«Le critère est général: réduction du nombre de pages, parce qu'ils n'ont pas le profil internet alors qu'ils travaillent tous les jours sur internet», critique le président du comité d'entreprise d'El Pais, Manuel Gonzalez.

«La direction a engagé des cabinets de notaires qui les convoquent de façon échelonnée. 52 journalistes doivent signer à Madrid. Le reste à partir de demain pour ceux qui sont en dehors de Madrid», a-t-il expliqué, ajoutant que la direction avait établi seule la liste des licenciés.

Sur Twitter, les hashtags (mots clefs) «Noalereenelpais» (non au plan social d'El Pais) ou «ElPaistedespide» (El Pais te licencie), étaient parmi les plus suivis.

Le tweet «Comment en sommes-nous arrivés là? Voici le rapport sur le salaire de Cebrian» avec un lien renvoyant aux résultats de Prisa et la rétribution du PDG du groupe était retwittés à l'envi.

«Il faut garder la tête froide. Cette ignominie ne restera pas impunie», écrivait aussi Fani Granden, résumant la colère des internautes.

Les journalistes ont observé la semaine passée trois jours de grève pour protester contre «un plan lamentable» et ont manifesté mardi devant les locaux du journal à Madrid.

Plusieurs intellectuels collaborant avec le journal, dont le Prix Nobel de littérature 2010 Mario Vargas Llosa ou l'écrivain Jorge Edwards ont fait part, dans un lettre de soutien au comité d'entreprise, de leur «malaise» face à des «censures» liées au plan social.

«Nous pensons qu'il s'agit d'un pas de plus dans la détérioration des valeurs fondamentales d'un journal crucial pour les libertés et la démocratie espagnole, aujourd'hui plus nécessaire que jamais dans une crise économique, politique et institutionnelle que vivent l'Espagne et l'Europe», écrivent-ils.

Pour sa part, la direction a expliqué dimanche, dans une lettre aux lecteurs, que «la douloureuse réduction d'effectif est due à la crise et au changement radical du secteur» qui migre vers internet et aux rentrées publicitaires qui «ont chuté sur les cinq dernières années».

Lourdement endetté, Prisa, premier groupe de médias espagnol, avait annoncé en janvier 2011 qu'il allait supprimer 2500 emplois en Espagne, au Portugal et en Amérique latine, soit 18% de ses effectifs.

Le groupe a annoncé en octobre un bénéfice net ajusté en chute de 88% sur neuf mois en raison d'un contexte économique «très difficile».