Il manque un personnage dans le nouveau film de Ben Affleck, Argo, qui raconte la crise des otages américains en Iran, en 1980. Celui du journaliste canadien qui a révélé le premier que six otages américains avaient trouvé refuge à l'ambassade du Canada.

Ce journaliste, c'est Jean Pelletier, aujourd'hui patron des émissions d'affaires publiques à Radio-Canada. Correspondant de La Presse à Washington, en 1980, c'est au cours d'un point de presse qu'il devine, en notant les propos plutôt vagues des porte-parole américains, que le Canada abrite quelques otages dans son ambassade. Son enquête confirme ses doutes. Le journaliste, alors âgé de 32 ans, décide toutefois de ne pas publier l'information jusqu'au moment où il sera assuré que la sécurité des otages ne sera plus en jeu.

«Je n'ai jamais cru que j'étais le seul à le savoir, mais je ne voulais pas mettre la vie de gens innocents en danger, raconte-t-il en entrevue à La Presse. Ç'aurait été comme de révéler le nom ou l'adresse d'Anne Frank. Quand j'ai rencontré l'ambassadeur canadien Ken Taylor, je lui ai promis que je publierais seulement lorsque j'aurais la certitude qu'il n'y ait pas de conséquences néfastes.»

Jean Pelletier attendra donc trois mois avant de révéler son scoop. Quand la ministre des Affaires étrangères Flora MacDonald annonce la fermeture de l'ambassade du Canada en Iran, le journaliste comprend que les otages ont été évacués et qu'ils sont en sécurité. C'est le moment de publier.

Ses patrons de l'époque à La Presse - dont Claude Saint-Laurent et Roger Lemelin - ne veulent pas que le journaliste précise dans l'article qu'il détient l'information depuis trois mois. «Mais pour moi, c'était une condition sine qua non, affirme-t-il. Disons qu'il y a eu une engueulade.»

La nouvelle, publiée le 29 janvier 1980, fait le tour du monde.

Qu'est-ce qu'un scoop de cette ampleur change dans la carrière d'un jeune journaliste? Beaucoup de choses, selon Jean Pelletier. «Ma vie quotidienne a radicalement changé durant deux semaines. J'étais seul au bureau de Washington pour répondre au téléphone. Il n'y avait pas de cellulaires à l'époque, j'avais une simple pagette. J'essayais de répondre à toutes les demandes d'entrevues tout en continuant à travailler, car l'histoire se poursuivait. C'était invivable.»

Si une telle histoire se déroulait dans le contexte actuel - avec les chaînes d'information continue, les réseaux sociaux, etc. - est-ce qu'un journaliste pourrait garder une information secrète aussi longtemps? Jean Pelletier croit que oui. «À l'émission Enquête, on retient plein de choses. C'est une question de conscience professionnelle.»

Jean Pelletier ira voir Argo, qui prend l'affiche aujourd'hui, mais il est déçu de ce qu'il a lu sur le film jusqu'ici. «On donne le beau rôle à la CIA. Or, elle a joué un rôle mineur. Le véritable héros, c'est Ken Taylor, l'ambassadeur du Canada. Ben Affleck a d'ailleurs changé la fin du film après l'avoir présenté à Toronto. La première version laissait entendre que M. Taylor avait joué un rôle secondaire, mais la nouvelle version rétablit les faits.»

Dans le livre qu'il a publié sur cette crise - Évadés d'Iran, coécrit avec Claude Adams -, Jean Pelletier révèle aussi que l'ambassadeur du Canada a travaillé pour le compte de la CIA afin d'aider l'évacuation des autres otages restés en Iran.