Depuis mardi, les lecteurs du Journal de Montréal et du Journal de Québec doivent payer pour avoir accès aux textes des chroniqueurs sur le web. Québecor Media emboîte ainsi le pas à Postmedia, qui a instauré un système d'abonnement payant pour quatre quotidiens, dont l'Ottawa Citizen et le National Post. Le Globe and Mail devrait suivre sous peu. Est-ce vraiment le début de la fin de la gratuité des journaux en ligne?

D'ici à quelques années, si la tendance se maintient, il sera impossible d'accéder au contenu des journaux en ligne sans débourser quelques dollars.

C'est le succès du New York Times qui semble avoir eu un effet d'entraînement: le quotidien a vu ses revenus augmenter depuis qu'il demande à ses lecteurs de payer de 10 à 35$ par mois pour lire plus de 10 articles sur son site web.

Le Financial Times de Londres remporte lui aussi un vif succès, tout comme le Wall Street Journal, qui a été le premier à imposer un abonnement payant, en 1997. Aux États-Unis, selon le Poynter Institute, on évalue à environ 16% la proportion des journaux quotidiens qui ont instauré l'abonnement payant sur le web.

Et l'achat récent de 63 journaux par le milliardaire Warren Buffet indique, selon les spécialistes, que la tendance pourrait bien s'accentuer. Après tout, l'homme d'affaires est reconnu pour investir dans des aventures rentables.

«Chacun attendait que l'autre plonge avant d'y aller, observe Pierre C. Bélanger, professeur au département de communications de l'Université d'Ottawa. Or, l'expérience du New York Times aura été extrêmement concluante, à un point tel qu'elle a ouvert la porte aux autres.»

«Cela dit, poursuit M. Bélanger, il faut certaines conditions pour qu'un système payant fonctionne. Le Financial Times et le Wall Street Journal offrent un contenu spécialisé et international. Les gens ne paieront pas pour accéder à des nouvelles générales, à ce que j'appelle «l'abondance de la redondance». C'est ce qui joue contre les médias généralistes. Leur approche basée sur le scoop et la nouvelle de la journée est fragilisée, voire caduque. Aujourd'hui, ils n'ont pas le choix d'imaginer autre chose.»

Yves Rabeau, professeur au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l'UQAM, partage ce point de vue. «Il faut un contenu fouillé et exclusif pour que les gens soient prêts à payer, souligne-t-il. Cela m'étonnerait que ce soit un succès pour le Journal de Montréal. Les journaux pour lesquels ça fonctionne, comme le Wall Street Journal, offrent des services exclusifs, des publicités haut de gamme ainsi que des annonces de recrutement de cadres supérieurs, sans compter que le coût de l'abonnement est déductible des revenus aux fins de l'impôt.»

La gratuité, un non-sens

Pierre C. Bélanger estime que la gratuité des journaux en ligne est devenue un non-sens. «Les sites web des journaux n'ont plus rien à voir avec le journal qui atterrit sur notre balcon le matin, affirme-t-il. Ce sont de véritables salles de nouvelles en continu, des carrefours d'information qui offrent aussi bien des textes que des vidéos, des baladodiffusions, des galeries photo, etc. Sans compter l'engagement de la rédaction avec les lecteurs dans les réseaux sociaux. Bref, on en donne beaucoup, et c'est normal de payer pour y avoir accès.»

Les internautes, pour qui la gratuité est devenue un acquis, vont-ils accepter la nouvelle donne? «Prenons l'exemple de la musique, suggère Pierre C. Bélanger. Avant, avec Napster et LimeWire, la gratuité était quasiment considérée comme un droit à la naissance. Aujourd'hui, le succès d'iTunes et d'Archambault montre que la tendance est réversible. Les gens se sont habitués à payer. Penser qu'on peut avoir accès à des contenus professionnels gratuitement sur le web, c'est de la fiction.»

De là à dire que l'abonnement payant sur le web est la planche de salut des journaux, il y a un pas que personne ne veut franchir. Les journaux doivent envisager d'autres voies afin de rentabiliser leurs opérations. Dans son blogue Newsonomics, l'analyste Ken Doctor énumère plusieurs façons dont un journal peut générer de nouveaux revenus: publication de livres électroniques à partir des archives du journal, événements en direct (conférences, entrevues, etc.), partenariat avec des fabricants pour vendre des objets ou des produits...

«L'archivage, et donc l'accès payant aux numéros passés, est une valeur ajoutée pour laquelle les gens seraient prêts à payer, ajoute Yves Rabeau, de l'UQAM. Aux États-Unis, on voit aussi des blogueurs devenir de véritables petits entrepreneurs et faire payer les internautes qui veulent accéder à leur blogue. Dans la mesure où il y a suffisamment de lecteurs, l'abonnement n'a pas besoin d'être très cher. On revient toutefois à la notion de qualité. Il faut que le blogueur en question offre quelque chose de vraiment unique pour que les gens soient prêts à payer pour le lire. Rareté et qualité, c'est ce qui fera la différence.»