La radio AM est en crise d'identité. Fini l'âge d'or des grandes stations parlées généralistes. À Montréal, où deux nouvelles stations doivent voir le jour en 2012, l'ancienne bande reine de la radio est devenue un immense fourre-tout où se côtoient la circulation, le sport, l'ethnique et l'information plus ou moins continue. Y a-t-il encore de l'avenir pour le AM? Peut-être. Ou peut-être pas...

«La bande AM est devenue l'ombre d'elle-même. Elle est très malade.»

Ancien vice-président du CRTC, Michel Arpin est catégorique: les jours du AM sont comptés. Désertée par les gros radiodiffuseurs, qui lui préfèrent de loin la toute-puissante FM, l'ancienne bande reine de la radiophonie perd de l'argent, des auditeurs et, ultimement, de l'intérêt.

Les chiffres du CRTC parlent d'eux-mêmes. En 2006, le Canada comptait 177 stations de radio AM, qui se partageaient des profits de 21 millions de dollars. En 2010, il n'en comptait plus que 141, pour des pertes de 4 millions.

Signe des temps? Même les fabricants de récepteurs délaissent le AM, les nouveaux appareils électroniques, comme le iPod ou le iPhone, n'offrant plus que l'option FM.

Un jeune de 20 ans, à qui l'on exposait récemment la situation, a d'ailleurs bien résumé le problème: «Ah ouais? Le AM? Ça existe encore? Ça fait longtemps que je n'ai pas entendu ce mot-là!»

Une auberge espagnole

Ce phénomène mondial n'épargne pas Montréal. Au contraire. Certains affirment que cette érosion est encore plus marquée dans la métropole québécoise, qui a énormément souffert du duopole Cogeco-Astral, les deux gros joueurs qui ont rebrassé le paysage radiophonique francophone en avalant notamment les réseaux Corus et Radiomutuel.

Au cours des 15 dernières années, cinq grosses stations ont ainsi disparu, marquant clairement la fin d'une époque: CJMS a «tiré la plogue» en 1994 et CKVL, en 1999. Sa station soeur, Info 690, a fonctionné 10 ans avant de fermer à son tour. CBF a migré vers le FM en 1999 et CKAC s'est recyclée dans la circulation en 2011, après avoir été une station de sports pendant cinq ans.

Pour entendre de la radio parlée grand public en français, il faut maintenant aller sur la bande FM, où le 98,5 et la Première Chaîne de Radio-Canada se font concurrence.

Le AM, de son côté, est devenu une drôle d'auberge espagnole, où se côtoient toutes sortes de stations de plus ou moins grande importance, qui vont des nouvelles en arabe à l'état de la circulation. Un véritable flou radiophonique, qui ne s'est guère précisé en novembre dernier, avec l'octroi de deux licences très convoitées, soit le 990 (radio Fierté gaie), et le 940 (radio parlée francophone), qui devraient ouvrir en 2012.

Consultant et spécialiste en radiodiffusion depuis un demi-siècle, Michel Mathieu ne mâche pas ses mots: «Au Québec, la radio AM commerciale est complètement à terre. Ça ne vaut plus de la chnoute.»

La carriole et le cheval

Selon Michel Arpin, ce constat global est directement attribuable aux limites de la technologie AM, qui n'a guère changé depuis sa naissance en 1919.

Avec le développement urbain, son signal jadis très clair s'est mué en un grand champ d'interférences, tributaire des conditions météo ou des obstacles des constructions en hauteur. Sans oublier les coûts d'exploitation élevés, liés à la technique et aux ressources humaines.

Cela explique pour beaucoup les fermetures de stations en rafale et la migration généralisée vers le FM, qui donne surtout dans la musique et dont la qualité sonore est bien meilleure.

Vétéran de la radio anglo à Montréal, l'animateur Jim Connell est sans appel: «Le AM est clairement désuet, tranche-t-il. Se plaindre de sa disparition, c'est comme se plaindre de la disparition de la carriole et du cheval.»

«Il ne s'est pas fait de nouvelles recherches depuis 60 ans pour améliorer cette technologie et trouver des solutions», déplore de son côté M. Arpin, sous-entendant qu'on a tout simplement laissé mourir le AM.

Vers une bande spécialisée

Professeur en communications à l'Université d'Ottawa, Pierre C. Bélanger se veut moins fataliste.

Oui, le AM en arrache, mais le tableau n'est peut-être pas si sombre qu'on veut bien le croire. «On ne peut pas nier qu'elle n'est plus ce qu'elle a déjà été. Ce n'est plus la radio de référence. Sa popularité est en perte de vitesse. Mais à mon avis, il est faux de croire qu'elle appartient au passé», lance ce spécialiste des nouveaux médias, qui est aussi consultant chez Astral.

M. Bélanger souligne que, partout au Canada, le AM continue de survivre, que ce soit en se spécialisant dans le sport ou dans l'information continue. En outre, les stations les plus populaires d'Ottawa (CFRA) et de Toronto (CFTR) sont deux stations AM. Sans oublier CJAD, propriété d'Astral, qui domine le marché anglophone montréalais avec sa formule de radio généraliste traditionnelle. «S'il y a encore de gros joueurs derrière ces stations, c'est qu'il y a encore de l'argent à faire», affirme-t-il.

M. Bélanger admet toutefois que le AM montréalais est en quête d'identité. Avec l'écosystème médiatique qui change, la bande a été obligée de se redéfinir. Délaissée par le grand public, elle vise désormais des clientèles plus ciblées, devenant ni plus ni moins «l'équivalent des chaînes spécialisées qu'on trouve à la télévision».

L'attribution récente d'une licence à la station Radio-Fierté, orientée vers les gais, en est la preuve. Mais la tendance est surtout tangible du côté des radios ethniques qui, comme l'immigration, sont en pleine expansion. S'installant sur les fréquences laissées vacantes, CPAM l'Haïtienne (1610), Radio Moyen-Orient (1450) et la station juive Radio-Shalom (1650) font ainsi de très bonnes affaires sur le AM en offrant des services à leurs communautés. Pas étonnant que CJLV-Laval cherche elle aussi à se convertir en radio ethnique. «Le marché est là», résume Michel Mathieu.

Internet tous azimuts

Annoncée pour l'automne, la nouvelle station parlée francophone de Paul Tietolman redonnera peut-être un peu de lustre au AM montréalais (voir autre texte). Mais à plus grande échelle, il faudra tôt ou tard trouver des solutions techniques pour que la bande ait un avenir.

De ce côté, on a déjà commencé à chercher une alternative.

En Grande-Bretagne et en Scandinavie, la technologie DAB (Digital Audio Broadcasting) a permis à certaines stations de survivre sur une tierce bande numérique. Mais en Amérique, le concept a été snobé par les fabricants de récepteurs, ce qui l'a fait mourir dans l'oeuf.

Aux États-Unis, quelques stations ont essayé de squatter les fréquences audio des chaînes de télévision ayant migré vers le numérique. Mais l'idée n'a pas convaincu grand monde.

Reste l'internet, ce vaste et prometteur nirvana technologique. Comme la télé et les journaux, il est probable que l'avenir de la radio en général, et du AM en particulier, passera par diverses plateformes numériques qui lui permettront de se renouveler et de redevenir compétitif.

Mais à entendre Michel Mathieu, on n'en est pas encore là.

«La plupart des stations que je connais sont déjà sur le Net, conclut le vieux renard des ondes. Mais l'habitude des auditeurs n'est pas encore prise. À mon avis, ça va prendre du temps. Dix, peut-être 15 ans. Mais ce jour-là, la AM qu'on connaît sera sûrement devenu une simple bande radio pour les tripeux de CB...»

Le AM à Montréal

CKGM 690: Radio sportive actuellement sur le 990. Migration imminente sur le 690. Propriété Bell Media.

Radio Circulation 730 AM: Triste destin pour l'ancienne CKAC, qui se spécialise désormais dans l'état des routes, avec l'aide financière du ministère des Transports. 0,5% des parts de marché, selon les derniers BBM. Propriété de Cogeco.

CJAD 800 AM: Dernier vestige de la radio parlée AM. Station la plus populaire à Montréal, avec 24,4 % des parts de marché (BBM, nov. 2011). Propriétaire Astral.

940: Future station parlée commerciale en français. Lettres d'appellation à venir. Ouverture possible à l'automne. Propriétaire : Tietolman Tétrault Pancholy Media.

Radio Fierté 990: Actuellement consacrée aux sports, cette fréquence sera bientôt reprise par Radio Fierté, une station orientée vers les gais, dont le propriétaire est le Evanov Radio Group de Toronto.

CJMS 1040: Radio country. À ne pas confondre avec l'ancien CJMS. Propriétaire indépendant.

CFMB 1280: Radio italienne depuis 1962. Propriétaire indépendant.

RMO 1450: Radio Moyen-Orient. Dessert les 400 000 arabophones de la région de Montréal. Propriétaire indépendant.

CJLV 1570 AM: Programmation rétro et country. Informations locales en français. Attend le feu vert du CRTC pour devenir une station 40 % ethnique.

CPAM 1610: Radio haïtienne. Un incontournable dans la communauté. Propriétaire indépendant.

CJRS 1650: Radio-Shalom. Une radio juive religieuse bilingue. Propriétaire indépendant.

CJLO 1690: Radio Concordia. La station communautaire de l'université.