Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Lise Thériault, ministre du Travail et députée d'Anjou.

1. Les Québécois qui vous ont vue prendre la parole à la commission parlementaire ont l'impression de vous avoir découverte cette semaine. Avez-vous l'impression de vous être révélée aux électeurs?

Dans ma circonscription, les gens me connaissent, ils savent que je suis une femme de terrain, près des gens. Mes collègues députés et ministres aussi me connaissent, ils savent que j'ai le courage de mes opinions et que je défends bien mes dossiers. Mais c'est certain que lorsqu'on est ministre et qu'on a un dossier chaud qui nous place sous la lumière des projecteurs, les gens nous découvrent et nous voient d'un autre oeil.

2. Est-ce qu'il faut mettre son poing sur la table, à votre avis, pour avoir de la crédibilité comme femme en politique?

Je ne crois pas. Je crois qu'il faut beaucoup de conviction pour défendre ses dossiers et aller jusqu'au bout. Quand on a un projet de loi, il faut le défendre avec force et conviction.

3. L'ancien ministre Jean Cournoyer a dit cette semaine, à l'émission 24 heures en 60 minutes, que vous n'auriez pas dû être aussi offensive à l'endroit du président de la FTQ, Michel Arsenault, dans le cadre de la commission parlementaire, un endroit où, en tant que ministre, vous êtes censée écouter. Avec le recul, regrettez-vous d'avoir haussé le ton?

Quand je suis arrivée à la commission, je n'étais pas fâchée, mais plus la FTQ présentait son point de vue, plus je trouvais cela choquant, en particulier le traitement qui avait été fait à de jeunes travailleurs de la construction. Mais la goutte qui a fait déborder le vase, c'est le déni. On n'assumait pas ce qui était arrivé. Or, quand on est un leader, qu'on soit un chef syndical ou un ministre, on doit assumer sa part de responsabilité. J'ajouterais que la ministre n'est pas la seule à recevoir les mémoires, il y a tout un travail d'analyse effectué par une équipe, et ce, avant même la présentation du mémoire. Cela dit, quand je suis sortie des travaux de la commission à la fin de la journée, je me suis posé la question: Lise, est-ce que c'est correct, ce que tu as fait là? Et ma réponse est oui. On ne peut pas défendre l'indéfendable et j'ai eu raison de réagir comme je l'ai fait.

4. On vous a menacée cette semaine. Avez-vous eu peur pour votre sécurité ou celle de vos proches?

Les menaces, ça ne m'intimide pas, ça ne fait que renforcer mes convictions. Et puis, comme je suis ministre et que je suis sous le feu des projecteurs, on ne s'attaquera pas à moi ni à ceux qui parlent fort. Ceux qui courent un danger, ce sont les anonymes, les travailleurs qui ne sont pas connus mais qui ont le courage de dénoncer une situation qu'ils trouvent inacceptable. Ceux-là s'exposent à des représailles.

5. Croyez-vous que la violence est inhérente au milieu de la construction, qu'elle fait partie de la culture de cette industrie, ou s'agit-il de cas isolés?

Depuis 2001, on a vu arriver environ 63 000 nouveaux travailleurs qui ont de 20 à 35 ans. Ils forment une nouvelle génération qui veut faire les choses différemment. Les travailleurs plus âgés ont vécu le saccage de la Gaspesia et celui du chantier de la Baie-James. Ce qu'on voit à l'heure actuelle, ce sont deux mentalités qui s'affrontent. Les jeunes sentent qu'il y a une volonté politique de changer les choses et ils exercent de la pression sur leurs délégués syndicaux. Avez-vous remarqué, cette semaine, que ceux qui ont osé dénoncer certaines pratiques étaient tous des jeunes? C'était frappant.

6. Avez-vous l'impression qu'on tente de vous intimider quand on vous dit que vous allez mettre le chaos dans le milieu de la construction?

Je pense que c'est facile d'agiter des épouvantails. Il y aura toujours des travailleurs qui voudront travailler et je suis convaincue que les entrepreneurs sont capables de choisir les travailleurs selon leurs compétences. Plusieurs personnes l'ont souligné au cours des derniers jours, le placement, c'est de l'imposition, alors que la référence est un choix. Ce qu'on propose dans le projet de loi 33, c'est le libre choix et je crois que la majorité des joueurs dans l'industrie souhaitent jouer selon les règles de la transparence.

7. Pourquoi agir aujourd'hui sur la question du placement syndical?

Au cours des deux dernières années, mon gouvernement a fait des gestes pour assainir le milieu de la construction. Il fallait également intervenir dans les relations de travail, car elles ont également un impact. À l'heure actuelle, dans l'industrie de la construction, il y a discrimination non pas sur la base du sexe ou de la couleur de la peau, mais bien sur le fait qu'un travailleur est membre de tel ou tel syndicat. Les problèmes concernent une minorité de travailleurs et la majorité est correcte. Il fallait toutefois intervenir. Cette industrie mérite aussi qu'on reconnaisse ses bons coups.

8. Croyez-vous les représentants syndicaux quand ils vous disent être en mode solution?

Oui, car le but des représentants syndicaux est de faire travailleur leur monde, sinon les travailleurs vont changer de syndicat. Ils veulent les meilleures conditions possibles pour leurs membres et ont toujours travaillé en ce sens. Mais il est possible que leurs membres jouissent d'aussi bonnes conditions de travail tout en ayant accès au libre choix.

9. Toute la semaine, M. Arsenault a insisté sur l'importance de conserver le fonds de formation pour les travailleurs de la construction. Êtes-vous d'accord avec lui sur ce point?

Notre projet de loi conserve le fonds, mais nous voulons le placer sous l'égide du Centre de formation professionnelle (CFP) de la construction. Jusqu'ici, il n'y a aucun droit de regard sur ce fonds, aucun moyen de vérifier ses états financiers ou de déterminer les priorités et décider où va l'argent. En le plaçant sous la responsabilité de la CFP, nous nous assurons que sa gestion sera transparente, qu'on pourra imposer des règles d'éthique et que le vérificateur général pourra enquêter afin de s'assurer de sa saine gestion. Pour le reste, il faut savoir que ce sont les mêmes administrateurs qui siègent aux différents comités, alors qu'ils ne viennent pas me dire qu'ils seront moins performants pour la simple raison que le fonds n'est plus sous la responsabilité des syndicats.

10. Est-il vrai que votre père travaillait dans le milieu de la construction?

Mon père était couvreur. Il est décédé il y a 25 ans. Je sais ce que c'est de grandir dans une famille où le père ne travaille pas l'hiver mais se lève très tôt le matin et rentre tard le soir l'été parce qu'il travaille très fort. Je connais cette réalité-là.

Q+1. Anthony Remillard @A_Remillard sur Twitter. Le projet de loi 33 est-il la première étape d'une série de mesures visant à rétablir l'équilibre des forces syndicales?

Dans le cadre du projet de loi 33, nous avons eu des discussions à propos des briseurs de grève. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté une motion pour que le gouvernement étudie la possibilité de modifier le Code du travail dans le but d'empêcher des entreprises d'engager des briseurs de grève. Je devrais recevoir un rapport sur cette question bientôt. Il n'y a pas juste le milieu de la construction qu'il faut revoir, il y a aussi la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Cela fait 30 ans qu'on n'a pas revu ses pratiques et j'ai reçu des recommandations du conseil d'administration, autant du milieu patronal que syndical, à ce sujet. Disons que mon agenda législatif est bien chargé.