Le printemps arabe a été une véritable manne pour Al-Jazira. Créée en 1996, la chaîne qatarie avait souvent fait parler d'elle au cours des 15 dernières années, mais les événements politiques des derniers mois au Moyen-Orient auront été une formidable occasion de se faire mieux connaître auprès du public nord-américain.

«La première semaine, la fréquentation de notre site a bondi de 2500%», affirme Tony Burman, responsable de la stratégie d'Al-Jazira en Amérique du Nord, rencontré dans le cadre de la conférence mesh 2011, qui avait lieu la semaine dernière à Toronto.

Si vous n'êtes pas abonné à la télévision arabe, il y a en effet de fortes chances que vous ayez regardé des images de la place Tahrir sur son site internet, en février dernier.

Présente dans 105 pays, Al-Jazira compte environ 30 chaînes (sports, documentaires, etc.), mais la plus connue ici demeure Al Jazeera English (AJE). Offerte au Canada, elle peine toutefois à entrer aux États-Unis, où elle compte pourtant un bureau à Washington.

«Au Canada, c'est simple: les grands câblodistributeurs sont présents partout au pays et, s'ils choisissent de vous distribuer, vous le serez pratiquement partout, explique Tony Burman. Aux États-Unis, c'est différent: il faut y aller État par État. Sans compter qu'Al-Jazira doit faire face aux préjugés. Au Canada, les gens sont plus ouverts, et nous savions qu'une fois qu'ils découvriraient notre programmation, les stéréotypes tomberaient. Aux États-Unis, c'est très difficile, d'autant plus que le lobby pro-Israël est beaucoup plus puissant là-bas.»

Tony Burman croit néanmoins que le vent a tourné avec les événements des derniers mois au Moyen-Orient. La campagne de promotion lancée sur Twitter durant les soulèvements égyptiens a incité 70 000 Américains à exercer des pressions sur leur société de câblodistribution. Résultat: la chaîne arabe a bon espoir d'être accessible aux téléspectateurs de New York, Los Angeles et Chicago d'ici un an.

Plusieurs observateurs se sont demandé si Al-Jazira n'avait pas joué un rôle de catalyseur durant les révoltes successives qui ont ébranlé la Tunisie, l'Égypte, la Libye et la Syrie. Qu'en pense Tony Burman? «Nous sommes fiers de notre couverture du Moyen-Orient, lance-t-il. Le fait que nous étions souvent les seuls à présenter des images des révoltes montrait surtout une chose: que nous sommes la seule entreprise de nouvelles à avoir des correspondants partout dans la région ou alors, lorsque nous n'en avons pas, que nous sommes les premiers sur place. Notre timing est toujours bon. Bien sûr, la présence des médias accélère les mouvements sociaux. Rappelons-nous qu'il y a eu un écart de 10 ans entre la Révolution française et la révolution haïtienne. Aujourd'hui, les images voyagent plus vite, l'information aussi. Cela dit, Al-Jazira n'est pas plus responsable du printemps arabe que ne le sont Twitter ou Facebook. Ce qui est arrivé devait arriver.»

Parlant de Twitter et Facebook, la chaîne arabe, très dynamique dans son utilisation des médias sociaux, a récemment lancé une nouvelle émission, The Stream, qui fait une revue de l'actualité quotidienne partout sur la planète à partir des informations fournies par les communautés en ligne et les médias sociaux. «La révolution arabe nous a également rappelé qu'il y avait une révolution dans les médias», souligne Tony Burman, qui dit s'estimer chanceux de travailler pour un diffuseur où la créativité est constamment encouragée.

«Al-Jazira est une télévision financée par un gouvernement qui y croit et qui veut le meilleur, explique M. Burman. Les journalistes sont encouragés à proposer des projets et il n'y a pratiquement pas de limites à ce qu'on peut faire. C'est toute une différence d'avec Radio-Canada et la CBC, qui fonctionnent depuis des années avec des budgets réduits et où les gens sont complètement déprimés. Quant à la pression exercée par l'émir du Qatar, je vous répondrais qu'on ressentait beaucoup plus de pression de la part du gouvernement canadien lorsque je travaillais à la CBC.»

> Le site d'Al-Jazira : english.aljazeera.net

> Pour visionner l'émission The Stream: stream.aljazeera.com

Sonder les cerveaux

On connaît la firme Nielsen, qui publie entre autres les cotes d'écoute des émissions de télévision américaines. Nielsen vient d'acquérir la firme NeuroFocus, spécialisée dans les neurosciences et qui a développé une expertise dans l'évaluation de l'attention des consommateurs, de leur engagement envers un produit ou un contenu télévisuel. En étudiant les mouvements des yeux et les ondes cérébrales, NeuroFocus serait également capable de savoir ce que nous retenons lorsque nous regardons une émission ou une publicité. Un outil redoutable, donc, que Nielsen compte bien utiliser pour aider ses clients (médias, annonceurs, fabricants) à cibler davantage leur public.