«La couverture que fait la BBC du conflit opposant Israël et la Palestine est distortionnée et n'est pas équitable», écrivait l'ex-correspondant de la BBC, Tim Llewellyn, lundi dernier, dans les pages du Guardian

C'est loin d'être la première fois que la BBC est critiquée sur la place publique. Quand on est le plus gros média au monde, chacun de nos gestes est scruté à la loupe. Il faut dire que la BBC est un véritable monstre médiatique avec ses huit chaînes de télévision (sans compter la programmation régionale, ses 10 stations de radio nationales, ses 40 stations de radio locales, ainsi qu'un site internet). La Beeb, comme l'appellent affectueusement les Anglais, emploie des milliers de personnes, journalistes, producteurs, animateurs, etc. La liste des règles et normes journalistiques qui encadrent leur travail représente à elle seule plusieurs heures de lecture.

Depuis 2005, David Jordan veille au respect de ces normes. À la tête d'une équipe de 12 employés, il est membre du comité de gestion de la BBC en plus de conseiller journalistes, animateurs et producteurs au quotidien sur des questions d'éthique et de déontologie journalistique. «Je suis disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, 365 jours par année», affirme cet ancien producteur d'émissions d'affaires publiques, de passage à Montréal la semaine dernière dans le cadre de la rencontre de l'Organization of News Ombudsmen (ONO).

David Jordan est le premier directeur des standards et politiques éditoriales, un poste créé en 2005 à la suite d'une série de scandales qui ont ébranlé la BBC. «Des reportages avaient fait couler beaucoup d'encre dans les médias et la BBC voulait répondre adéquatement aux critiques du public, explique David Jordan. Les gens nous financent avec leurs taxes et nous surveillent de près. Ils se sentent propriétaires de la BBC et en droit d'exprimer leur opinion sur ce que nous faisons. Ils ont des attentes très élevées à notre endroit, avec raison.»

Il n'y a pas que le public qui surveille la BBC de près. La programmation, les nominations et le financement de la Beeb est un beat journalistique en soi, un secteur d'activité que les médias anglais couvrent au quotidien. «Nous nageons dans une piscine infestée de requins, reconnaît M. Jordan avec un sourire en coin. Certains propriétaires de journaux font du financement public de la BBC une guerre idéologique.»

«Tout est une question de contexte»

Durant sa longue carrière journalistique, David Jordan a travaillé à l'émission Panorama. Créé en 1953, ce magazine consacré aux enquêtes journalistiques est une véritable institution en Angleterre. «De par le travail que j'ai accompli à Panorama et dans d'autres émissions d'affaires publiques, je suis habitué à ce que mon travail soit scruté, analysé. J'étais donc préparé pour le travail que je fais aujourd'hui. Chaque jour, nous devons nous questionner sur nos pratiques et justifier le travail que nous faisons. Qu'il s'agisse d'enregistrements secrets dans le cadre d'une enquête, de collaborations anonymes, de collaborations d'enfants ou de la diffusion d'images violentes, mon équipe et moi sommes appelés à réfléchir et à aider les différentes émissions de la BBC à prendre la meilleure décision. Récemment nous avons présenté un documentaire sur la fin de la vie dans lequel on pouvait voir un homme mourir. La décision de montrer ces images n'a pas été prise à la légère, nous en avons longuement discuté, pour en arriver à la conclusion qu'il était tout à fait pertinent, dans le cadre de cette émission, de montrer des images aussi dérangeantes. Tout est une question de contexte.»

Le bureau de David Jordan ne traite pas les plaintes du public, c'est la responsabilité d'une autre entité de la BBC, tout à fait indépendante. La direction des standards et politiques éditoriales est toutefois responsable de la formation des employés en matière d'éthique et offre plus de 140 formations au personnel de la BBC. «Avec la multiplication des sources, internet et les médias sociaux, il est de plus en plus difficile de s'assurer de leur crédibilité, observe M. Jordan. Prenez la photo de ben Laden qui a circulé après son assassinat. En l'espace de quelques minutes, elle s'est mise à circuler sur Twitter, des médias l'ont reprise (la BBC n'était pas du nombre) pour réaliser après quelques heures qu'il s'agissait d'une fausse information. Tous les jours, nos journalistes doivent prendre des décisions très rapidement et notre rôle est de les appuyer afin que ça ne dérape pas.»

Ainsi, tous les blogues de la BBC sont modérés, c'est-à-dire que leur contenu doit être lu et approuvé avant d'être mis en ligne. Par contre, les fils Twitter sont modérés a posteriori, et pas de façon systématique. «Nos règles sont très strictes, peu importe quand on tweete, on demeure un représentant de la BBC», précise David Jordan, qui tient un blogue et vient tout juste de s'abonner au site de microblogues.

Selon lui, le cas de WikiLeaks, qui a été l'objet d'au moins deux séances de discussion lors de la rencontre de l'ONO la semaine dernière, incarne à merveille les nouveaux défis auxquels doivent faire face les journalistes d'enquête depuis quelques années. «Face à cette quantité incroyable d'information, il faut se demander si les médias ont encore les ressources nécessaires pour traiter, analyser et vérifier les données qui nous sont soumises, note David Jordan. On peut imaginer que les organisations du type de WikiLeaks vont être de plus en plus nombreuses à l'avenir. Les grandes entreprises journalistiques qui vont collaborer avec de telles organisations vont en bénéficier, c'est certain. Mais elles devront s'assurer que les normes de vérification et d'équilibre soient respectées. C'est un immense défi.»

Pour en savoir plus:

Sur les règles et politiques de la BBC: bbc.co.uk/aboutthebbc/policies

Sur les pratiques journalistiques de la BBC: bbc.co.uk/journalism

Pour consulter le fil Twitter portant sur la discussion autour de l'utilisation des médias sociaux à la BBC, allez voir sous le mot-clé: #bbcsms

Les dangers du cyberespace

Invité à prendre la parole dans le cadre de la conférence Mesh 2011 qui a lieu à Toronto, Ronald Deibert, professeur à l'Université de Toronto où il dirige le centre de recherche Citizen Lab, a brossé un portrait assez sombre de l'avenir du cyberespace. L'augmentation de la criminalité s'accompagne inévitablement d'un contrôle accru sur le web. Selon Deibert, le web devait être un lieu où tous les citoyens seraient libres et protégés par un certain anonymat. Or, c'est loin d'être le cas, dit-il. On assiste au contraire à une montée du contrôle, de la censure et de l'autocensure. Pour en savoir plus sur le cybercrime et les menaces à la liberté d'expression sur le web: opennet.net

infowar-monitor.netCitizenlab.org

Journalisme à la canadienne

Pour la première fois depuis la création des bourses de journalisme Nieman, il y a 74 ans, c'est un journaliste canadien à l'emploi d'un site de nouvelles, et non d'un média traditionnel, qui aura la chance d'aller étudier à Harvard. Il s'agit de David Skok, directeur de l'information à globalnews.ca. Il se joindra à un groupe composé de 23 journalistes provenant des quatre coins de la planète. Son projet de recherche porte sur la présence journalistique canadienne dans un environnement médiatique sans État et sans frontières. Au Québec, les journalistes Paule Robitaille et Christian Rioux ont déjà obtenu cette prestigieuse bourse.