Radio-Canada est une télé-poubelle, la journaliste du Devoir pratique un journalisme de colonisée, une autre travaille pour les intérêts de son patron et non pour l'intérêt public...

Depuis plusieurs mois, les relations entre le maire de Québec, Régis Labeaume, et les journalistes, qu'il a menacés de poursuites à quelques reprises, sont loin d'être au beau fixe.

Le climat a commencé à s'envenimer lors de l'affaire Clotaire Rapaille. Depuis, le maire multiplie les commentaires incendiaires et les menaces à peine voilées à l'intention des médias à l'oeuvre dans la Vieille Capitale.

«C'est vrai qu'il a souvent des accrochages avec des journalistes, et c'est un sujet de discussion parmi nous, remarque Claude Bernatchez, animateur de l'émission matinale de Radio-Canada et président de la section Québec de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Mais on est loin d'une situation où le maire contrôle les médias de sa ville. Nous, les journalistes, sommes trop nombreux pour qu'il réussisse à nous faire taire.»

Il reste que le maire Labeaume se braque de plus en plus lorsque les médias le questionnent sur un enjeu qui concerne sa Ville. «Je pense que le fond du problème, c'est la conception de la démocratie, observe Frédérick Bastien, professeur au département d'information et de communication de l'Université Laval. Celle du maire Labeaume, très restrictive, est de dire: «On me jugera au moment des élections.» Or, s'il est vrai que le maire a des comptes à rendre aux électeurs, il en a aussi à l'égard de l'opposition et des médias de masse, qui ont le droit de poser des questions.»

Il y a deux semaines, la FPJQ a publié un communiqué dans lequel elle demande au maire Labeaume de cesser ses menaces à l'endroit des journalistes. Cela faisait suite aux déclarations de M. Labeaume selon lesquelles il allait recourir aux poursuites judiciaires chaque fois qu'il estimerait être victime de fausses allégations ou d'atteinte à la réputation. Selon la FPJQ, il s'agissait bel et bien d'une tentative d'intimidation.

«Le maire de la deuxième ville du Québec envoie un bien mauvais message aux élus, affirme Brian Myles, président de la FPJQ. Il a une façon très cavalière de traiter les médias. Il ne respecte pas notre rôle. Parfois, il reconnaît ses erreurs et s'excuse, mais en général il supporte très mal l'obligation de répondre aux questions et de rendre des comptes. Cela crée des guerres d'usure et des conflits de personnalités avec certains journalistes. Au final, ça ne sert personne.»

Anne-Marie Gingras, professeure au département de sciences politiques de l'Université Laval, estime que l'attitude du maire Labeaume s'apparente à celle de Jean Tremblay, maire de Saguenay. «C'est comme s'ils ne distinguaient pas leur personnalité privée de leur personnalité publique, note-t-elle. Les deux hommes ont une drôle de conception de la liberté d'expression. Pourtant, ils devraient savoir qu'on est toujours plus exposé à la critique quand on est une personnalité publique. Il faut en outre savoir faire la distinction entre diffamation et critique. Lorsqu'ils amalgament les deux, c'est très malsain, à mon avis.»

«On peut se demander jusqu'à quel point l'attitude du maire de Québec à l'endroit des médias correspond à ce que la population veut entendre, ajoute pour sa part Frédérick Bastien. Quand il qualifie Radio-Canada de télé-poubelle, il essaie de plaire à la partie de la population qui écoute la radio-poubelle et qui juge Radio-Canada trop élitiste... Disons qu'il laboure un terrain fertile et tient des propos que la population est prête à entendre.»

Anne-Marie Gingras abonde dans son sens. L'attitude anti-élite du maire Labeaume fait partie, selon elle, d'une manoeuvre électoraliste populiste. «Il l'a déjà dit, son modèle, c'est Jean Drapeau», souligne l'universitaire.

«Ce qui me frappe le plus, poursuit Frédérick Bastien, c'est qu'il sélectionne les questions auxquelles il veut répondre. Lorsque, cette semaine, Anne-Marie Dussault l'a interrogé à propos de l'amphithéâtre et de son financement, il répondait: «Nous, on n'est plus rendus là, on est passés à autre chose.» Or, les questions de Mme Dussault étaient pertinentes. M. Labeaume semble avoir beaucoup de difficulté à admettre la légitimité sociale des journalistes.»

Dans son Dossier noir des municipalités, paru la première fois il y a 10 ans et dont la seconde édition a été publiée l'automne dernier, la FPJQ dénonce l'attitude des élus municipaux qui intimident les médias locaux, sous-représentés dans les petites villes. À Québec, le rapport de force avec les médias est plus égalitaire, mais le climat n'en est pas moins vicié. «Au cours des derniers mois, les enquêtes journalistiques ont dépeint le monde municipal sous un jour peu glorieux, note Brian Myles, président de la FPJQ. C'est la toile de fond à Québec comme ailleurs. Pourtant, le maire Labeaume ne devrait pas avoir peur des questions s'il n'a rien à cacher.»