Il n'y a pas beaucoup de postes que Paule Beaugrand-Champagne n'a pas occupés dans le monde des médias québécois. Elle a travaillé à La Presse, au Devoir, au Journal de Montréal, au Jour, à Radio-Canada, à Télé-Québec, à Châtelaine, à L'actualité... Elle a également fondé Le Trente, magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, dont elle a aussi été la présidente.

Bref, elle a connu une époque dorée où les journalistes de talent pouvaient passer d'un poste à l'autre - une époque décidément révolue. Aujourd'hui à la retraite, Paule Beaugrand-Champagne est l'une des rares journalistes à avoir connu autant de médias de l'intérieur, souvent comme patronne, ce qui lui permet de poser un regard privilégié sur leur évolution au cours des 40 dernières années.

«Je dirais que les médias se sont constamment améliorés, observe la journaliste. Si quelque chose s'est perdu, c'est le temps. La vitesse qu'on impose désormais fait en sorte qu'on lance une nouvelle brute, qu'on ne laisse pas le temps de creuser, et je le déplore. Aujourd'hui, il n'y a pratiquement que les journalistes d'enquête qui ont du temps.»

Paule Beaugrand-Champagne était journaliste à La Presse en 1965, à une époque où les femmes étaient le plus souvent reléguées aux pages féminines ou occupaient des postes de secrétaires. Un patron l'a déjà empêchée de se rendre aux Îles-de-la-Madeleine pour fouiller une histoire sous prétexte que c'était «trop dangereux pour une femme seule». «Il a donné mon scoop à un collègue», se souvient Mme Beaugrand-Champagne, qui en rit aujourd'hui.

Après avoir donné naissance à sa fille, elle est passée au Devoir parce qu'on lui permettait de travailler à temps partiel. Elle est retournée à La Presse quelques années plus tard. «L'histoire du scoop était oubliée, je ne suis pas rancunière», dit-elle. Un retour triomphal, peut-on ajouter, puisqu'elle sera la première femme nommée cadre à l'information dans une salle de rédaction qui n'était pourtant pas reconnue à l'époque pour ses penchants féministes...

Avec le recul, Mme Beaugrand-Champagne ne semble pas avoir beaucoup d'états d'âme sur la question de la conciliation travail-famille, un problème toujours d'actualité dans les salles de rédaction. «J'arrivais à la garderie sur deux roues à cinq minutes de la fermeture, puis je continuais à travailler une fois ma fille couchée, raconte-t-elle. Quand on veut faire ce métier, on se débrouille, on trouve des gardiennes... À l'époque, les hommes ne se posaient pas ces questions-là. Ils rentraient souvent à la maison une fois les enfants couchés et ce n'était pas grave. Les enfants, c'était l'affaire des femmes. Aujourd'hui, c'est devenu une question importante pour les femmes ET pour les hommes, qui sont beaucoup plus près de leurs enfants.»

En vraie journaliste, Paule Beaugrand-Champagne, malgré la retraite, ne s'éloigne jamais tout à fait de l'action. Récemment, elle a attiré l'attention en signant dans L'actualité un texte bien senti sur l'atmosphère qui régnait au Journal de Montréal lorsqu'elle y travaillait, à la fin des années 90. Qu'on ne s'y trompe pas, toutefois: son passage au Journal figure toujours parmi ses bons souvenirs professionnels. «J'avais un défi, c'était de mettre fin au mépris qui régnait à l'endroit des journalistes du Journal de Montréal. Pour changer cela, je me suis attaquée à la qualité de l'écriture, au processus de correction. Les journalistes ont embarqué et l'expérience a été extraordinaire.»

Paule Beaugrand-Champagne a également adoré son passage à Télé-Quebec, où, à titre de PDG, elle s'est aussi portée à la défense de la télévision publique. Au fond, la journaliste carbure aux causes, comme le prouvent ses premiers pas en journalisme, à la tête de Vie étudiante, alors qu'elle livrait bataille pour avoir le droit de publier les textes de l'écrivain André Major, indépendantiste et de gauche.

Arrivée dans le métier bien avant la création des facultés et des écoles de journalisme, Paule Beaugrand-Champagne dit avoir bénéficié des leçons de quelques professeurs de vie, des mentors qui ont marqué sa carrière. Il y a eu Gérard Pelletier, pour qui elle avait «une admiration sans bornes»; Jean David, qui lui a appris «que la meilleure façon d'apprendre était de faire des faits divers parce qu'ils développent l'empathie et le jugement». Elle a aussi beaucoup aimé Michel Roy pour son sens de l'éthique et sa façon d'être proche des journalistes. Bien sûr, on ne peut passer sous silence le nom de Jean Paré, avec qui Mme Beaugrand-Champagne a formé durant six ans au magazine L'actualité un tandem marquant. «Il était d'une grande rigueur et d'une formidable intelligence, observe-t-elle. Nous étions complémentaires: il avait les idées et moi, je les mettais à exécution. J'étais la productrice.»

«Il avait des impatiences assez fortes, alors je jouais aussi le rôle de tampon», ajoute-t-elle avec un sourire malicieux.

Aujourd'hui, c'est son tour de jouer le rôle de mentor, ce qu'elle accepte volontiers lorsque des journalistes la sollicitent. Une façon de ne pas trop s'éloigner du métier...

Les sources de Paule Beaugrand-Champagne

Depuis qu'elle est à la retraite, Paule Beaugrand-Champagne a le temps de lire les journaux (La Presse, Le Devoir) de la première à la dernière page, ce qu'elle fait avec bonheur. «Je ne suis pas une femme de radio, j'aime plutôt le silence.» Vous ne risquez pas de la voir au nombre de vos abonnés Twitter, mais elle est présente sur Facebook. En véritable amoureuse des magazines, l'ex-éditrice de L'actualité est abonnée au Trente, à L'actualité et à Protégez-vous. «Sinon, j'achète en fonction de la une: L'Express, Le Point, Time, Newsweek, etc.»