La situation au Journal de Montréal s'est trouvée au coeur des débats lors d'un congrès réunissant plus de 600 journalistes à Montréal en fin de semaine.  Ce n'est cependant pas tant le fait que plus de 200  lock-outés soient toujours à la rue qui a retenu l'attention mais plutôt l'orientation jugée idéologique de ce quotidien actuellement rédigé par les cadres.

La Fédération professionnelle des journalistes avait en effet mis à l'ordre du jour un atelier intitulé «L'éléphant dans la pièce » : « Si Quebecor décidait de se mettre au service d'une cause politique ou idéologique, qui pourrait l'en empêcher? », demandait-on dans la documentation écrite de l'atelier.

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a dû peiner pour trouver des journalistes prêts à témoigner à l'heure où Pierre Karl Péladeau poursuit Sylvain Lafrance, ce vice-président des services français de Radio-Canada qui l'a traité de voyou.

Au micro, Paule Beaugrand-Champagne, qui a oeuvré dans divers médias et notamment au Journal de Montréal, a d'ailleurs suggéré que soit créé un fonds de soutien juridique pour défendre les «Pierre-Jean-Jacques qui risquent de se faire poursuivre en brisant l'omerta » et qui « n'auraient pas les moyens de Sylvain (Lafrance).»

David Patry, journaliste culturel lock-outé du Journal de Montréal et reporter à Rue Frontenac, a accepté d'aller au micro. Le grand danger, a-t-il dit, ce n'est plus tant la convergence commerciale que « la convergence idéologique ».

M. Patry, qui écrivait dans les pages culturelles d'un empire de presse qui met entre autres en ondes Le Banquier et Occupation Double, a raconté comment il lui est arrivé que ses textes lui soient dictés par ses supérieurs.

Après avoir refusé de répondre à d'autres «commandes » et « autres jobs de bras » contre des ennemis de Quebecor, M. Patry a raconté que ses collègues lui ont donné un conseil :  faire semblant. Devant une assignation qu'il jugeait déplacée, on lui a conseillé de faire semblant de faire téléphones et recherche, pour finalement dire à ses supérieurs qu'il n'avait malheureusement pas réussi à joindre d'interlocuteurs.

Richard Bousquet, qui était chef de pupitre au Journal de Montréal avant le lock-out, a évoqué au micro cette fois où il a été appelé à traiter un dossier de trois articles sur Renaud Gilbert,  l'ex-ombudsman de Radio-Canada (concurrent de TVA).  Le dossier finalement publié comptait deux textes, a dit M. Bousquet. Ce qui a été retenu, ce sont les propos de M. Gilbert faisant mal paraître Radio-Canada. Les nuances qu'il avait ajoutées dans le même souffle et qui avaient été rapportées par la journaliste avaient été retranchées, a dit M. Bousquet, évoquant lui aussi le fait que le tout relevait de la « job de bras ».

D'autres journalistes de Quebecor, en lock-out ou pas, ont aussi défilé au micro pour faire des témoignages similaires.

Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, a défendu, lui, le modèle multiplateforme par lequel un même journaliste peut nourrir un journal, un site web,  un reportage à la télé, etc.  Pour lui, ce modèle, déjà reproduit à moindre échelle par d'autres empires de presse, risque fort de se répandre davantage encore dans un contexte où les médias sont en mal de revenus publicitaires et de lecteurs ou d'auditeurs.

Ceci étant dit, M. Nadeau s'est dit très conscient du danger « de glisser vers une presse populiste et simpliste où un agenda démagogique est souvent le cadre de référence ».

Ce danger existe-t-il déjà? À cela, M. Nadeau a répondu en entrevue qu'il voyait en ce sens des « signaux préoccupants », chez Quebecor, mais aussi dans d'autres médias.

M. Nadeau a notamment dénoncé tous ces articles dans lesquels on n'étudie la performance de gestionnaires publics qu'à l'aune de leurs seuls comptes de dépenses, de même que les articles de type «Le Québec dans le rouge » pourfendant de façon assidue les pouvoirs publics pour leurs moindres dépenses.