Dans les offres qui ont été présentées aux lock-outés du Journal de Montréal la semaine dernière, la direction imposait une clause de «convergence illimitée», c'est-à-dire le droit de décliner les textes écrits par les journalistes du Journal sur toutes les plateformes de Quebecor Média.

Pour ceux qui ne comprennent pas bien la nature de la convergence dans une entreprise médiatique, voici l'explication de Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Quebecor, à la conférence annuelle de l'International Institute of Communications l'an dernier. «Aujourd'hui, a-t-il dit, une émission de télé n'est jamais seulement une émission de télé: elle se décline sur le web et sur la vidéo sur demande, ses comédiens ou ses animateurs se racontent dans nos magazines, publient des livres dans nos maisons d'édition, lancent disques et DVD que nous produisons et participent à d'autres émissions de variétés et événements spéciaux.»

À cette panoplie de plateformes, il faut ajouter le nouveau téléphone de Vidéotron présenté aux médias en septembre dernier. Selon M. Péladeau, il deviendra la pierre angulaire de la stratégie de convergence de Quebecor Média.

Qui aurait pu prévoir un tel succès il y a 10 ans, lors de l'achat de Vidéotron par Quebecor? Personne. En fait, à l'époque, alors que Time Warner et AOL fusionnaient aux États-Unis, nombreux étaient ceux qui prédisaient l'échec de la convergence ainsi que le démantèlement des grands conglomérats médiatiques.

Ce qui suscitait des craintes au Québec, c'est davantage la question de la concentration de la propriété. Florian Sauvageau, professeur de communication à l'Université Laval, était au nombre des inquiets. Dans le dossier de mon collègue Maxime Bergeron publié samedi, il réitère ses inquiétudes: «Je ne veux pas prêter d'intentions à Pierre Karl Péladeau, mais il a un pouvoir qui pourrait avoir des conséquences inquiétantes s'il décidait un jour de s'en servir à des fins politiques.»

Or jusqu'ici, ce n'est pas la démocratie qui a le plus souffert de la convergence, c'est plutôt le contenu.

D'un strict point de vue d'affaires, la convergence est un succès. Du point de vue du public, toutefois, c'est moins concluant.

Si la multiplication des plateformes se traduisait par une augmentation du nombre de contenus (informations, divertissement, etc.), il y aurait de quoi se réjouir. Le problème, c'est que les contenus ne se multiplient pas, ce sont les mêmes qu'on décline à l'infini. Comme l'expliquait Pierre Karl Péladeau, toujours devant l'auditoire de l'International Institute of Communications, «la seule façon (...) de rejoindre des auditoires comparables et de maintenir la profitabilité globale de nos composantes, c'était de développer des produits capables d'aller chercher le public, ou plutôt les publics, là où il(s) se trouvai(en)t désormais. Il fallait tout simplement faire plus avec moins.»

Quebecor n'est pas le seul à vouloir faire plus avec moins. On trouve d'autres exemples de convergence, à plus petite échelle, cela dit. Prenons Radio-Canada. La semaine dernière, le reportage télé de sa correspondante Alexandra Szacka, présenté au Téléjournal du jeudi soir, a été rediffusé au bulletin d'information radio le lendemain matin. La qualité du reportage n'avait pas changé, mais du point de vue du fidèle auditeur-téléspectateur de Radio-Canada, on doit reconnaître qu'il y avait perte de richesse et de diversité.

Est-il possible d'envisager de faire plus avec moins tout en faisant mieux? Les événements récents n'indiquent pas que c'est la voie privilégiée, du moins chez Quebecor Média. La direction de l'entreprise a été très claire dans ses récentes offres: le Journal de Montréal devra se faire avec moins de journalistes que par le passé.

Paradoxal. Tout le monde s'entend pour dire que le contenu est primordial, que sans reportages de fond, sans émissions de qualité, les téléphones mobiles et les câbles optiques ne sont que de la vulgaire tuyauterie. Et pourtant, on ne semble pas toujours accorder une très grande valeur à ce fameux contenu. On en veut, mais il ne doit pas coûter trop cher. Dans un tel contexte, comment croire que la qualité ne sera pas touchée?

L'avenir des journaux bis

Les patrons de trois grands quotidiens canadiens-anglais, The Toronto Star, The Globe and Mail et le National Post, se sont réunis la semaine dernière pour débattre de l'avenir des journaux. Devant l'Empire Club of Canada, ils ont exposé trois visions différentes de l'avenir de la presse écrite. L'éditeur du National Post, Gordon Fisher, craint que plusieurs titres disparaissent alors que l'éditeur du Toronto Star, John Cruickshank, plus confiant, assure que le journalisme d'enquête, sérieux et, surtout, local, sera toujours demandé. Quant à Philip Crawley, éditeur du Globe, il estime que les quotidiens gratuits sont l'équivalent de la musique d'ascenseur, car ils minent la valeur des journaux. Seul terrain d'entente des trois compétiteurs: la qualité vendra toujours.

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Source: The Toronto Star

Chili: l'échec du journalisme

«L'histoire du sauvetage des mineurs chiliens me déprime, a écrit le professeur de journalisme Jeremy Litteau la semaine dernière. J'y vois surtout une histoire sur le journalisme. Je trouve déconcertant le fait qu'à une époque où nous fermons des bureaux de correspondants à l'étranger et que nous sabrons les budgets des salles de rédaction, 1300 journalistes se soient rendus dans une petite ville minière du Chili. Je sais que mon opinion est discutable quand je vois sur Twitter et Facebook l'intérêt suscité par cette histoire. Mais le public ne pense pas en termes de ressources lorsqu'il consomme de l'information journalistique. Il fait avec ce qu'il y a.»

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Source: jlittau.net (professeur au département de journalisme et communication de la Lehigh University, en Pennsylvanie)