Jean-René Dufort est-il un «vrai» journaliste? Cette question a longtemps alimenté les débats dans les congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Cet automne, Infoman entame sa 11e saison et on peut dire qu'il fait bel et bien partie du paysage médiatique québécois.

«Si tu me places entre un troupeau d'humoristes et un troupeau de journalistes, je vais aller naturellement vers le troupeau de journalistes, confie Jean-René Dufort. J'avoue que ce débat m'a longtemps amusé mais qu'à un moment donné, je me suis tanné d'être la mascotte des journalistes. À chaque fois qu'ils se posaient la question: qu'est-ce qu'un vrai journaliste, ils me prenaient en exemple. Je pense que rarement le public m'a confondu avec Bernard Derome et il me semble qu'il y a des débats pas mal plus importants. Personnellement, j'adore discuter de journalisme, c'est mon hockey à moi. Je déplore que mon nom ait coiffé bien des titres d'ateliers, mais qu'on ne m'ait jamais invité à y participer.»

Si sa légitimité au sein de la communauté journalistique a été longue à acquérir, il en est de même de son intégration dans la grande tour de Radio-Canada. «Au début, on était à couteaux tirés avec le Centre de l'information. Ils ne savaient pas ce que je venais faire là. Mais avec les années, on s'est amadoués et ils ont compris quelle niche j'occupais. On a réussi à se tailler une place dans cette grande église.»

L'«Infoman» n'est peut-être pas un journaliste dans le sens classique du terme, mais une chose est certaine, ceux qui regardent son émission sont informés à tout coup. Un exemple: récemment, Jean-René Dufort et son équipe ont révélé que le président du club de hockey Canadien, Pierre Boivin, était actionnaire de Questerre, une entreprise qui souhaite exploiter le gaz de schiste au Québec. «On n'a pas beaucoup de ressources pour mener de grandes enquêtes journalistiques, alors quand on trouve quelque chose, on le lance en espérant que ce soit repris.»

Ces jours-ci, Infoman fait son pain et son beurre avec la commission Bastarache. Avec ses débats sur l'encre de stylo, l'exercice qui se déroule à Québec ne manque pas d'angles humoristiques. Comment Jean-René Dufort se prépare-t-il pour «couvrir» un tel événement? «On achète du pop-corn et on s'assoit devant la télé, lance l'animateur. En fait, on ne se prépare pas du tout car on essaie de garder une certaine naïveté. La façon dont on réagit quand on le regarde en gang détermine ce qu'on mettra en ondes.»

Onze ans, à la télévision, c'est plutôt long. Pourtant, ne demandez pas à Jean-René Dufort ce qu'il compte faire après Infoman, il n'en a aucune idée. La raison en est fort simple: Infoman, c'est lui. «C'est certain qu'il y a le danger du «syndrome Bobino», soit d'être associé au même personnage toute sa vie. Mais dans mon cas, Infoman n'est pas un personnage. Même en vacances, je n'arrête pas de poser un regard sur ce qui m'entoure. Dans un tout-compris à Cuba, je vais vouloir faire un reportage sur le buffet. Je suis comme ça. Et puis j'ai du plaisir à faire ce que je fais, année après année.»

Depuis qu'il a délaissé les reportages plus sérieux dans les pages de Protégez-vous pour poser son regard bien personnel sur l'actualité à La fin du monde est à sept heures, Jean-René Dufort a vu le monde des médias se transformer. «Aujourd'hui, il faut que aller au rythme du plus vite, et cette vitesse, cette instantanéité a compliqué mon travail. Par exemple, si on prépare un montage vidéo sur la commission Bastarache, il n'est pas dit qu'une vidéo semblable fera le tour sur YouTube avant la diffusion de notre émission. Tous nos sujets peuvent être brûlés. L'actualité va très vite et une semaine, maintenant, c'est comme six mois. Avant, notre émission était un véhicule assez rapide. Aujourd'hui, c'est devenu un paquebot.»

Les sources de Jean-René Dufort

Au total, Infoman dit passer environ une heure par jour devant un ordinateur. «J'évite Twitter car je trouve cela déprimant, assure-t-il. Tu ponds une blague et tu en vois passer une similaire sur Twitter... Ça va trop vite et j'ai peur de me perdre, alors mon équipe me fait des résumés des sujets les plus populaires. On va me dire par exemple qu'Antoine Robitaille du Devoir «twitte» beaucoup sur les talons hauts de la procureure Suzanne Côté. Je garde ça en mémoire, ça peut servir...»

De la même façon, Jean-René Dufort n'est abonné à rien de précis, il picore un peu partout. «Je fouille dans tous les magazines, je lis tous les journaux avec une attention particulière pour les quotidiens anglophones car on dirait qu'ils nous précèdent toujours d'une journée ou deux pour les sujets. J'aime aussi beaucoup l'information européenne. Je regarde les nouvelles américaines à la télévision et leurs «breaking news» imprimées en permanence au bas de l'écran me font rire.»

«Je ne lis aucun blogueur volontairement, poursuit Jean-René Dufort, sinon je vire fou. J'ai l'impression que tous les sujets ont été touchés. Comme je dois penser à une émission hebdomadaire, j'essaie de ne pas me laisser distraire par tout ce qui est écrit au quotidien et qui vient faire de l'interférence.» Comme ses journées sont monopolisées par l'actualité, le chimiste de formation essaie de décrocher complètement quand il est à la maison. «Je lis des magazines d'architecture et des magazines scientifiques et ce sont les mêmes sujets qui m'intéressent à la télé ou à la radio. Le soir, j'aime mieux regarder des émissions internationales, je quitte le pays, sinon j'ai l'impression de travailler.»