Au moment de la sortie de Dédé à travers les brumes, long métrage consacré au regretté Dédé Fortin, André Vanderbiest, le dernier bassiste du groupe Les Colocs, disait être sorti «consterné» de la projection. Il affirmait n'avoir ressenti aucun «sentiment de fierté d'avoir appartenu à ce groupe-là». Le portrait dessiné dans le film de Jean-Philippe Duval ne ressemblait pas du tout à sa propre vision des choses.

Dans une lettre publiée dans Le Devoir l'an dernier, Pierre Harel a exprimé sa «déchirance d'avoir été trahi à ce point» par le film Gerry, le long métrage d'Alain Desrochers (scénarisé par notre collègue Nathalie Petrowski), relatant la vie de Gerry Boulet. Évoquant les quelques moments où il apparaît (sous les traits d'Éric Bruneau), il a écrit: «Cette première partie est remplie de faussetés et de malveillances qui m'ont laissé dans un état de découragement dont je sors à peine.»

Les drames biographiques, ou «biopics» comme disent nos amis français, font face à un problème apparemment aussi épineux qu'insoluble, surtout depuis que le cinéma mise sur des personnalités contemporaines. Les témoins directs de l'histoire, qui s'attendent parfois à ce que les faits soient relatés comme s'ils étaient recopiés directement d'un rapport de police, se heurtent ainsi aux affres de la «réinterprétation», souvent orchestrée au nom de l'efficacité dramatique.

L'éternel débat entourant la notion de transposition, ou de «libre adaptation», dans une oeuvre de fiction, a pris une nouvelle tournure cette semaine après la sortie en salle de L'affaire Dumont.

Même si le film est officiellement une «oeuvre inspirée de la vie de Michel Dumont, faussement accusé de viol en novembre 1990» (extrait des notes de production), la marge de manoeuvre dont disposaient la scénariste Danielle Dansereau et le réalisateur Daniel Grou (Podz) ne pouvait être plus mince.

Le film évoquant une affaire judiciaire classée, le procédé se révélait des plus délicats dans ce cas-ci. La véritable identité des personnes impliquées dans la cause est utilisée dans le récit. On se tient tellement près des faits que Podz se permet même le luxe d'insérer des scènes d'archives au beau milieu de son film, dans lesquelles on voit les vrais protagonistes, tout en reprenant ensuite le fil de l'histoire avec ses acteurs.

Or, voilà que certains d'entre eux, peut-être déçus par la façon dont on les dépeint dans le long métrage, remettent en question les faits relatés. Denis Lévesque, le prêtre de la confession «trash», devant qui viennent habituellement communier les extraterrestres, médiums en tous genres et autres femmes fontaines, a reçu à son émission la victime du viol pour lequel Michel Dumont a été accusé, de même que l'ex-conjointe de ce dernier.

Danielle Lechasseur, la victime, a alors remis en doute l'innocence de Michel Dumont. Elle croit aujourd'hui que ce dernier est bel et bien l'auteur de l'agression qu'elle a subie en 1990. La société de production Go Films a immédiatement diffusé un communiqué pour «rétablir les faits» et a fait du même coup valoir que L'affaire Dumont «a été produit et réalisé dans le plus grand respect des documents judiciaires et d'enquête, des transcriptions des auditions devant la Cour et des émissions d'archives auxquelles madame Lechasseur avait alors participé».

Mercredi, c'était au tour de Céline Boisvert, conjointe de Michel Dumont pendant huit ans et mère de ses deux enfants, de passer au confessionnal. Elle a déclaré avoir inventé certains faits lors de son témoignage au tribunal, à la demande de l'accusé.

On ne mettra la sincérité de personne en doute. D'autant que nous avons affaire ici à des personnes dont la souffrance est réelle. Et qui, 20 ans plus tard, voient leur vie de nouveau étalée au grand jour, sans retrouver dans l'espace public l'image qu'elles ont d'elles-mêmes.

Le cinéma est un média puissant. Dans l'esprit de certains spectateurs, la notion de «liberté artistique» demeure bien floue. Ce qu'ils voient à l'écran devient alors vérité. Genre très prisé au cinéma, souvent même considéré comme valeur sûre auprès des producteurs, le drame biographique est pourtant à manier avec grande précaution. En empruntant une approche quasi documentaire, Podz pouvait difficilement être plus rigoureux.