Officiellement, le 37e Festival international du film de Toronto (TIFF) a été lancé hier soir avec la présentation en grande pompe du film Looper, un thriller futuriste réalisé par Rian Johnson. Dans les faits, le TIFF roule déjà à plein régime depuis hier matin.

Aux abords du Bell Lightbox et de l'hôtel Hyatt, qui tiennent lieu de quartier général, on peut distinguer très nettement les journalistes «locaux» de ceux qui arrivent des quatre coins du monde pour l'occasion. Les premiers, forts de toutes les projections auxquelles ils ont déjà eu droit au cours des deux ou trois dernières semaines, envisagent les prochains jours avec sérénité. Les autres, qui formaient hier matin une file impressionnante devant le comptoir des accréditations où ils pouvaient retirer leur précieux badge, empruntent plutôt le regard du chevreuil apeuré. Des jurons se sont fait entendre aussi (souvent même dans plusieurs des langues reconnues par les Nations unies!) quand est venu pour eux le moment d'essayer de se construire un horaire. Trop de films incontournables en même temps, trop de conférences de presse, trop d'événements, trop d'invités, trop de fêtes «à ne pas rater sous aucun prétexte». Trop de tout. Le casse-tête absolu.

Quelques rues plus loin, au moins trois des étages de l'hôtel Intercontinental étaient investis par des relationnistes dont le rôle, du moins semble-t-il, est d'arborer un attirail d'agent secret, de déplacer les stars d'une suite à l'autre et de chronométrer à la seconde près leurs conversations avec les scribes. Monsieur Willis, par ici. Vous, mademoiselle Cotillard, par là. Monsieur Gordon-Levitt? Mais on ne vous attendait pas si tôt!

Pour les professionnels et les journalistes, Toronto relève bien davantage du gros showcase que d'un festival de cinéma. L'absence d'un volet compétitif permet en outre d'attirer d'imposantes locomotives, lancées ici sans trop de grands risques. Une programmation très riche - probablement la plus riche de la planète - est ainsi construite autour des productions plus médiatisées. Il n'y a pratiquement rien à jeter de ce menu gargantuesque constitué de 372 films, parmi lesquels 289 longs métrages. Dans ce déluge cinématographique, des oeuvres qui mériteraient plus d'attention sont forcément noyées.

Cela dit, la formule a fait ses preuves. D'autant que, probablement plus qu'ailleurs, le TIFF vit son effervescence au cours du premier week-end. Comme un gros rush d'adrénaline. La plupart des professionnels et journalistes ne séjournant ici que quelques jours, les campagnes de promotion autour de certains des films les plus attendus sont orchestrées au début du festival, provoquant d'inévitables bousculades dans les esprits.

Les cinéphiles torontois, qui vivent le festival dans une ambiance de fête, ne pourraient être plus comblés. Ce sont eux qui ressortent grands gagnants de l'aventure. Et ils ont toutes les raisons du monde de se réjouir du succès de cet événement, considéré maintenant par plusieurs observateurs comme le plus important après Cannes.

Le ventre plein

Ça joue dur dans le monde des festivals. Dans le Toronto Sun d'hier, on déplorait le fait que le Festival de Telluride vienne parfois jouer les trouble-fêtes en sélectionnant des films qui auraient en principe dû être présentés en primeur mondiale dans la Ville reine. Vous n'êtes pas gentils. Ça casse le fun, bon. Mis à part le fait de ne pas présenter de volet compétitif non plus, le petit festival du Colorado partage pourtant peu de chose avec le TIFF. Étalé sur quatre jours à peine (il a eu lieu du 31 août au 3 septembre cette année), il propose peu de longs métrages (25 environ, incluant des documentaires). D'où le prestige d'une sélection là-bas très significative aux yeux des intervenants de l'industrie américaine. Le hic, c'est que la programmation de Telluride est toujours annoncée au tout dernier moment. Et ça commence à tomber un peu sur les nerfs du monde ici. Probablement moins sur ceux des organisateurs du TIFF que sur ceux des Torontois, à vrai dire. Par exemple, on n'apprécie pas le fait que Argo, la nouvelle réalisation de Ben Affleck d'abord annoncée en primeur mondiale, n'ait désormais plus ici que le statut d'une «primeur internationale». Vraiment, y en a qui se plaignent le ventre plein.