C'est une fable que nous offre Larry Tremblay dans L'orangeraie, peut-être l'un de ses romans les plus efficaces et aboutis.

La simplicité volontaire de son écriture rappelle l'histoire de Caïn et Abel ou la parabole de l'enfant prodigue. Avec ceci de différent que, chez Larry Tremblay, la spiritualité peut souvent mener à une vision tordue de la réalité.

Son précédent roman, le troublant Christ obèse, faisait dans le huis clos étouffant où le délire catholique atteignait des sommets. «J'écris pour jeter des réflexions», nous avait-il dit l'an dernier en entrevue, et force est de constater que L'orangeraie, malgré son apparente simplicité, nous pousse encore plus dans nos derniers retranchements en ce qui concerne la question du bien et du mal.

Sans jamais nommer un pays, le décor évoque les paysages du Proche ou du Moyen-Orient. Est-ce le Liban, l'Irak, la Palestine? C'est en tout cas un pays en guerre et, de l'autre côté de la montagne, il y a les ennemis.

Deux frères jumeaux, Amed et Aziz, grandissent à l'ombre de l'orangeraie familiale, sorte de paradis originel d'où ils seront brutalement éjectés quand une bombe tuera leurs grands-parents. Car après ce drame, leur père reçoit la visite du guerrier Soulayed qui propose à la famille «l'honneur» de sacrifier l'un des fils pour répondre au sang par le sang.

Qui sera choisi pour porter une ceinture d'explosifs et tuer tous ces «chiens» ? Amed ou Aziz? Le fils en bonne santé ou le fils malade? La gémellité étant ce qu'elle est, quel pacte se fera entre les deux frères qui peuvent facilement confondre leur entourage?

Pour Soulayed, c'est une illusion que de croire que nos ennemis nous ressemblent parce qu'ils sont des hommes eux aussi, mais Soulayed, qui semble du côté de la famille d'Aziz et d'Amed, a lui-même un visage double, ce n'est pas seulement l'ennemi qu'il déshumanise en exigeant des martyrs.

Et dans cette situation inhumaine d'avoir à choisir l'un des deux fils, ce sont les parents qui, étonnamment, ont le plus de coeur, tandis qu'ils organisent l'impensable, soit envoyer à la mort la chair de sa chair. Ils auront beau faire un choix, la guerre prend tout et ne laisse que des ruines derrière elle.

L'écriture sobre de Tremblay et sa poésie dans les dialogues nous mènent de complexités en complexités, alors que l'auteur joue une fois de plus sur une dualité qui ne cesse d'être renversée, de retournement en retournement.

Ce que l'on retient surtout est que la guerre et la haine arrachent les personnages à cet éden qu'est l'enfance et plante dans leur coeur et leur âme, lorsqu'ils survivent, un arbre qui ne donne comme fruit que la douleur, la colère et la culpabilité. Avec au final un questionnement sur la représentation artistique de la guerre.

L'art, ce double de la réalité, où l'on veut dans le faux, approcher de la vérité, le théâtre comme champ de bataille, la bataille comme théâtre. Avec L'orangeraie, Larry Tremblay nous donne un roman qu'il faut lire... deux fois plutôt qu'une.

L'ORANGERAIE

Larry Tremblay

160 pages, Alto

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Extrait:

«Les hommes dans notre pays vieillissent plus vite que leur femme. Ils se dessèchent comme des feuilles de tabac. C'est la haine qui tient leurs os en place. Sans la haine, ils s'écrouleraient dans la poussière pour ne plus se relever. Le vent les ferait disparaître dans une bourrasque. Il n'y aurait plus que le gémissement de leur femme dans la nuit. Écoute-moi, j'ai deux fils. L'un est la main, l'autre, le poing. L'un prend, l'autre donne. Un jour, c'est l'un, un jour, c'est l'autre. Je t'en supplie, ne me prends pas les deux. »