L'enfance malheureuse est un don pour l'écrivain, car elle lui fournit un sujet à toute épreuve. L'écrivain écossais John Burnside a transformé la sienne en récit. Mémoire ou chronique? À la fin du livre, qui se termine assez bien malgré tout - Burnside est devenu père à son tour et jure de faire mieux que son père à lui - il déclare: «Ce livre gagne à être considéré comme un roman.» Roman, histoire vraie, tout ça m'importe très peu, pourvu que le livre soit bon, et c'est le cas avec Un mensonge sur mon père.

Tommy, le père de John Burnside, était un enfant trouvé qui a menti toute sa vie pour se donner des origines. Quoi de plus normal? Si on vient de nulle part, sans famille, on travaille fort pour s'inventer un passé. «On comprend sans peine pourquoi il refusait de n'être personne», lisons-nous au début du récit. Mais, partant de ses fabulations sur ses origines, Tommy est vite devenu incapable de dire un seul mot vrai, une seule parole sur laquelle on pourrait compter. Ajoutez aux mensonges sa violence, sa dépression, son alcoolisme, et la table est mise pour une de ces enfances malheureuses qui exigent de se retrouver entre les pages d'un livre.

 

Cette histoire est plutôt sombre, et ça commence par le décor. Une petite ville industrielle en Écosse, où le père travaille comme journalier. À la suite d'un accident, et aussi parce qu'il est devenu indésirable dans ce petit lieu, il déménage sa famille à Corby, dans le nord de l'Angleterre, car, selon les rumeurs, les nouvelles aciéries y cherchent de la main-d'oeuvre. C'est là que la mort viendra le cueillir, dans un pub, entre le bar et la machine à cigarettes.

À part John et sa soeur Margaret, Tommy et sa femme ont perdu deux autres enfants. Un des jeux préférés de Tommy, c'était de suggérer à John qu'il aurait été préférable qu'il meure, lui, et que son frère mort survive. Subtil, n'est-ce pas? De ce fantôme du frère mort, le petit John construira un double, un meilleur ami surgi du monde des revenants, et sa cohabitation avec le frère fantôme mène aux plus beaux passages du livre, intimes, brillants et tendres, en contraste avec la dureté des lieux.

Ce récit naît et se termine avec l'Halloween, la fête des morts. Rentré à Corby pour les funérailles de son père, dans le pub où il a trouvé la mort, le fils John commencera à comprendre l'homme qu'il vient de perdre. Il est trop tard pour corriger leur incompréhension mutuelle mais, heureusement, il reste le livre. Celui que vous lirez.

Un mensonge sur mon père

John Burnside, traduit par Catherine Richard Métailié, 309 pages, 37.95$, ****