Dans son précédent roman, Partir, l'écrivain Tahar Ben Jelloun décrivait le départ tant désiré d'un jeune Marocain vers l'Europe, le jeune homme passant en Espagne en y suivant un homme qui, en échange de faveurs sexuelles alors qu'il n'était pas gai, lui avait permis de quitter son pays de misère; c'était tout ce qui comptait pour le jeune homme, partir Avec Au pays, c'est aussi un départ que Ben Jelloun évoque, mais dans l'autre sens; c'est un retour plutôt qu'une fuite, celui d'un vieil immigré marocain qui, à l'heure de la retraite, un ordre qu'il perçoit comme une condamnation à mort, décide de rentrer chez lui, au pays, dans son bled de poussière et de misère pour y construire une maison, sa maison.

Mohamed, analphabète, 65 ans, habitant depuis plus de 40 ans un HLM qui s'est définitivement délabré, a travaillé toute sa vie aux usines Renault. Ouvrier exemplaire. Il était, contrairement au jeune homme de Partir qui nous est contemporain, de la première génération d'immigrés marocains venus en France pour y faire leur vie Il est arrivé en 1962 avec sa jeune femme, une cousine. Ils ont eu six enfants devenus des Français, des « françaouis «, dit-il, sa marmaille qui, adulte, a rejeté la religion du père, jetant l'islam avec l'eau du bain, Rachid décidant de s'appeler Richard, le pire étant la cadette qui a épousé un Italien, non musulman, ce qui, à ses yeux, est l'impensable.

 

Mohamed est un homme triste. S'il ne sait pas lire, il garde précieusement son Coran. Il n'a pas demandé pas la citoyenneté française, mais il a été un bon citoyen. Jamais une absence au travail, toujours son ouvrage de peintre en carrosserie bien fait. Il refusait les voyages d'entreprise organisés par l'usine pour ne pas quitter ses enfants. Son islamisme est modéré. Il a horreur du racisme. Il pense que Le Pen sera bien embêté s'il n'a plus d'Arabes à se mettre sous la main. Triste en tout, Mohamed, sauf avec Nabile, le fils mongol de son frère qu'il a pris en charge et qui est son seul bonheur...

«Lentraite», comme il dit, c'est la fin des haricots pour lui. Le premier matin, il se lève tout de même à cinq heures, se lave, déjeune et prend le chemin de l'usine. Si ce n'était du syndicat, il aurait voulu continuer à bosser. Il doit réaliser qu'on ne veut plus de lui, qu'il ne sert plus à rien. Il part pour le Maroc. Seul. Il construira, dans le bled de son enfance, une maison mais personne des siens (sauf sa femme et Nabile) n'y viendra vivre, comme il l'espérait naïvement, et il y mourra donc, s'y laissera mourir dans un grand malheur dont je ne vous donnerai aucun détail.

Le portrait du vieux Mohamed, brossé par Tahar Ben Jelloun, c'est du grand art. À la fin du roman, on pense à Beckett.

Au pays

Tahar Ben Jelloun

Gallimard, 189 pages

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