Pauvre Jamal! Ce psychiatre anglo-pakistanais dans la cinquantaine est à la croisée des chemins. Il ressemble à un héros de Philip Roth: le désir le pique et la mort le hante. Mais contrairement aux vieux bandés de Roth, Jamal, le personnage principal du dernier roman de Hanif Kureishi, est plutôt timide et recueilli. C'est un psy - il écoute, il observe, et se laisser aller lui coûte un effort surhumain.

Je suis prêt à parier que vous connaissez Hanif Kureishi par le cinéma, surtout si vous avez le goût des films britanniques alternatifs. Kureishi, c'est l'homme derrière Le Bouddha de banlieue, My Beautiful Launderette, et aussi Sami et Rosie s'envoient en l'air. Avec Quelque chose à te dire, il revient au roman, une grosse brique qui tente de tout dire sur la crise de la cinquantaine, le moment où l'homme se regarde dans le miroir et a horreur de l'image qu'il y trouve.

 

Cet homme n'est pas seul. Plusieurs femmes l'accompagnent dans son questionnement. On commence par Ajita, Pakistanaise comme lui, et comme lui laïque qui refuse l'emprise de l'islam. Jeunes, il se sont aimés, perdus, retrouvés. Jamal apprend que son père la violait presque chaque soir. Elle tente de l'excuser en disant «qu'il avait besoin de sa chaleur» après la désertion de sa mère. Voulant la venger, Jamal, avec deux amis plus expérimentés, finit par provoquer sa mort. La culpabilité le poursuivra toute sa vie.

Ensuite il y a Josephine, sa femme, de qui il s'est séparé, mais leur fils Rafi crée un lien entre les deux. De Josephine, Jamal dit «c'est avec un narcissisme typiquement félin qu'elle scrutait son corps, y appliquant des onguents, comme quelqu'un qui aurait poli la carrosserie d'une voiture dépourvue de moteur». Hanif Kureishi a le tour pour de telles cruautés. Malgré cette description peu reluisante de sa femme, Jamal cherche à revenir vers elle, même si nous, lecteurs, ne savons pourquoi.

Entre-temps, Jamal voyage entre ses souvenirs des années 70, avec sa sexualité débridée, et le présent, où la chair est triste et exige des remontants de plus en plus extrêmes, où la société est marquée par des attentats comme celui de Londres en 2005. Jamal adulte habite un monde beaucoup moins libre, où les hommes à peau sombre sont la cible des policiers. Kureishi s'est toujours occupé des questions identitaires liées à l'immigration, et ce livre continue ses recherches.

En entrevue, Kureishi parle avec enthousiasme de son analyse, et il en fait autant dans son roman. D'ailleurs, écriture et psychanalyse sont des alliés, selon lui. «Une étude de cas, dit-il, est un mélange de littérature, de spéculation et de théorie», tout comme le roman. Chez lui, le romancier et le psy ne font qu'un.

Quelque chose à te dire

Hanif Kureishi traduit par Florence Cabaret

Christian Bourgois, 567 pages,$39.95.

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