Philippe Le Guillou est l'un des prosateurs français les plus habités par les grâces, celles de l'inspiration et de l'expression; ainsi est-il un admirateur de l'oeuvre de Julien Gracq. Il ajoute à ces grâces, inhérentes au métier d'écrire, celle de la croyance en Dieu. Il évoque son «christianisme» sans l'ombre d'un prêchi-prêcha; il aime se recueillir à la messe; il est un fidèle de l'église Saint-Eustache derrière les Halles; il va parfois y lire des textes saints, mais il n'en a jamais fait un plat. C'est un écrivain avant tout, et un piéton de Paris.

Sans jouer des tics et trucs de l'autofiction, il évoque parfois, en des détours romanesques, des éclats de son propre parcours; d'origine bretonne, il est professeur de littérature en banlieue parisienne, il est un écrivain de son temps mais d'un temps qui tourne le dos aux amusements de masse pour affronter les sensations profondes, celles de l'intellect comme du coeur, celles que l'on nourrit à la fréquentation des grands auteurs (Proust, Montherlant), des peintres (de Staël, Cy Twombly, Van Eyck, Monet), mais aussi celles qui naissent à l'écoute d'une chanson de Bashung, de Souchon, de Vincent Delerm chez qui il ne se lasse pas d'écouter Le baiser Modiano...

 

Avec ce nouveau titre, qui n'est pas un roman mais un récit, il raconte l'amour platonique qu'homosexuel il a vécu avec une jeune femme, éprise de littérature comme lui, vive, belle, intelligente, et brestoise. Car Brest est le port d'attache de leur complicité, leur accord parfait est né là dans les embruns du port; ils savent que leur ancrage finistérien a fondé «le mystère» de leur identité bretonne, et fraternelle, sororale. Ils ne font jamais l'amour, ce serait briser quelque chose. Elle a ses amants, il a ses garçons. Leur histoire a duré 10 ans. Lorsqu'elle, Hélène, va physiquement dépérir et mourir d'un cancer, après avoir mis au monde un enfant qu'un marin lui a fait, lui, dans les églises, les musées, il se détourne de douleur devant les Vierges à l'enfant, «belles jeunes filles en extase des polyptiques de Venise et de Bruges, les seins dénudés, rebondis, cette opulence niaise de la vie».

Ce récit est bouleversant. Ne boudons pas ma peine, mes yeux ont coulé en lisant certaines pages de ce Tombeau, sans la froideur mallarméenne, pages si poignantes, si justes, qui mènent à l'art l'expression d'une amitié amoureuse, une histoire qui n'a rien à envier à celles des amours autrement normales, hétérosexuelles, inégales, apaisées.

Le Guillou livre un témoignage précieux, une entreprise qui me rappelle celle qu'a déjà menée, avec beaucoup de délicatesse aussi, Paul Chanel Malenfant dans Quoi, déjà la nuit, paru à l'Hexagone en 1998.

Fleurs de tempête

Philippe Le Guillou Gallimard, 162 pages, 27,50$

****1/2