Les romanciers aiment différer, ce ne sont pas des journalistes, ils remettent à plus tard le rendu qui ne sera plus un compte rendu, mais un travail littéraire qu'ils auront à faire s'ils ont vécu, dans la réalité, une expérience, forte sensation ou choc spectaculaire; émotion vive. Repoussant l'échéance, passant à autre chose, ils s'éloignent du sujet après avoir tourné autour de tous ses possibles; c'est alors, avec le temps, l'inspiration, le métier, qu'ils peuvent, non pas recréer l'événement, mais créer à partir de lui. D'un souvenir, construire une histoire. D'une vision, rendre une illusion, utopie ou rêve. D'un grondement de vent, un roman.

Ainsi, François Vallejo, qui logeait dans un hôtel de Lisbonne le 25 août 1988 quand le quartier historique du Chiado s'est embrasé et qui, 20 ans plus tard, fait de cet incendie qui a ravagé le vieux coeur de la ville de Pessoa une histoire qui n'a plus rien à voir avec l'événement en question qui, sans faire de victimes, avait rasé le quartier encerclant le grand magasin Chiado, noircissant ses rues devenues ruines, tache sale dans la ville blanche...

 

Vallejo charpente bien ses histoires, c'est écrit serré, solide, à l'équerre comme dans Ouest, remarquable roman qui avait obtenu le prix Giono en 2006. Alors que dans Ouest, il mettait en scène l'arrière-pays breton à l'heure de la Révolution française, avec L'incendie du Chiado il se restreint à une catastrophe urbaine, un désastre limité, mais dans lequel il installe ce même mécanisme de récit, ce regard d'écrivain qui aime débusquer la sauvagerie de l'être humain lorsqu'il est placé dans des situations extrêmes, révolution ou incendie.

Ce qui fait tenir ces 222 pages qu'on lit comme on avancerait dans un corridor mal éclairé sans même savoir s'il mène quelque part, c'est l'étrange et quasi inexplicable dramatis personae qu'il a mis en scène à l'intérieur même du brasier, des gens, ils seront cinq, qui, au lieu de fuir les lieux, vont s'y glisser, y rester, entrer dans la zone désertée de la fournaise, sans se connaître ni l'un ni l'autre, cherchant tous quelque chose que, finalement, ils ne voulaient pas trouver. J'vous dis rien, mais ce feu, qui les attire, qui les attise, allume chez eux du passé sec, ce sera non pas le jeu, mais le feu de la vérité.

En ombres, en errants, embusqués, il y a un vieux portier de cinéma qui ne veut pas quitter son cher quartier, une femme qui y venait à la rencontre de sa fille et persiste à l'attendre malgré le sinistre, un photographe en quête des meilleurs clichés, un Français qui devait rencontrer au café A Brasileira un vieux Lisboète qu'aurait connu son père durant la guerre, et un beau parleur, Juvénal Ferreira (on pense à Courtial des Péreires dans Mort à crédit), menteur, fabulateur, manipulateur, le véritable diable de cet enfer, un illuminé qui se fera maître des destins. Roman fabuleux. Chaud devant...

L'incendie du Chiado

François Vallejo

Viviane Hamy, 222 pages, 36,95$

***1/2