Écrivain prolifique et aventurier boulimique fasciné par l'Amérique des grands espaces, Michel Le Bris paraît plus grand que nature, à l'instar de son dernier roman, une brique de près de 700 pages. Pour le laconisme, on reviendra! L'écrivain breton qui dirige le festival des Étonnants Voyageurs embrasse le monde comme il embrasse la littérature, avec l'oeil vorace de l'explorateur. Il faut dire que le sujet est de taille et son déploiement, magistral.

La beauté du monde raconte la découverte de la vie sauvage par un couple d'aventuriers, Osa et Martin Johnson, pionniers du film animalier dans les années 20. S'inspirant de la vie réelle du couple, qui fut le premier à photographier et à filmer l'Afrique primitive, Le Bris a imaginé une écrivaine débutante, Winnie, chargée d'écrire la biographie d'Osa en 1938. Au centre du roman, Osa incarne la lutte entre modernité et sauvagerie des origines, la casanière rivalisant tout au long du roman avec l'aventurière.

 

L'animalité retrouvée

Entre les boîtes de nuit de Harlem et les expéditions au Kenya, Le Bris suit les deux stars de l'aventure dans un pèlerinage pour saisir le mystère de la beauté du monde, intimement liée à la sauvagerie, cette part indomptable de l'homme et de la nature. Épreuve initiatrice de l'Afrique, la scène où Osa tue le lion s'avère aussi le noeud du roman, symbolisant la rencontre de la grâce originelle et de la mort. Entre la violence et l'émerveillement, la capture du fauve réanime l'instinct primaire et fonde le mythe du retour à l'origine du monde, au jardin d'Éden, à l'«énergie primordiale» de l'homme, aussi créatrice que destructrice.

Extrêmement bien documenté, La beauté du monde dévoile un chapitre fascinant et peu connu de l'histoire américaine, celui de l'Amérique des années 20 qui affirme sa puissance par le triomphe de la jeunesse et une révolution sexuelle coïncidant avec une curiosité naissante pour la culture noire. L'avènement du jungle dans les bars de jazz de Harlem durant les années folles traduit la réconciliation de l'Amérique avec son esprit sauvage. On suit également les découvertes de l'ethnologie et de la psychanalyse, fascinées par l'homme des premiers âges.

Ode inspirée à la beauté primitive, prolixe et imposante, La beauté du monde forme l'épopée de l'explorateur assoiffé de liberté. Teintée d'une spiritualité un peu naïve, la finale grandiose demeure émouvante, à l'instar de tout le roman, nourri du mysticisme du voyageur qui, à force de rompre les amarres, retrouve le Paradis perdu, «découvre l'étranger en soi», cet animal caché qui peut prendre la forme de l'inconscient, du déchaînement sexuel ou d'une force obscure retrouvée dans la jungle new-yorkaise comme dans la savane kényane.

La beauté du monde

Michel Le Bris Grasset, 678 pages, 34,95$

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