C'est une espèce de Robinson sur sa montagne pelée. Un Étranger transplanté quelque part près du désert du Nevada. Il s'appelle William Gasper, il a 50 ans, il a fait la guerre de Corée avant d'être tueur à la solde d'une «quelconque fraternité ayant pour nom un sigle». «Mon gagne-pain c'était la mort. La mort pour rendre service.»

«Un homme sans famille et sans amis, un homme solitaire, un homme qui en rencontre rarement d'autres, peut en venir à douter de sa propre existence», dit-il. Et nous en douterions, nous aussi, si ce n'était de cet autre regard qui vient parfois se glisser dans la narration de L'homme qui marchait sur la Lune, celui d'une femme qui lui loue le conteneur où il range ses quelques possessions, et dont les commentaires sont insérés dans le texte, en italique. «Il est pas, comment dire, ce qu'on pourrait appeler fou, dira Mari-Gail Henry à un interlocuteur non identifié. Il est juste bizarre. Y a quelque chose de méchant dans son regard des fois, ou quelque chose de froid. Vaut mieux pas l'embêter.»

 

Si elle savait...

Écrit presque entièrement à la première personne, ce récit se donne comme «un essai sur le meurtre. Et moi, dit le narrateur, qui pourrais bien avoir été le second tireur, l'homme posté sur le tertre herbeux, j'en serai le lecteur. Moi, dont l'existence n'est guère plus que soupçonnée».

Du matin au soir, et parfois même la nuit, Gasper sillonne cette montagne appelée la Lune dont il connaît la moindre pierre, chaque crête, chaque secret. Il marche, et il pense, et sa pensée grimpe et escalade et descend dans ses souvenirs, philosophant sur les valeurs humaines, la mort, la marche, les armes à feu, pour lesquelles il a une fascination de connaisseur, de collectionneur maniaque.

L'arme à feu comme objet de poésie

Pour cet être en apparence dépourvu de la moindre émotion, l'arme à feu est objet de poésie. Le Sharps .45-70 avec lequel il a jadis tué un gros ours émet «un bruit profond, comme celui de l'âme d'un rocher qui s'en va, ou l'inspiration d'un brontosaure, un bruit pur, simple, roulant, comme celui de quelqu'un qui livrerait un poteau de téléphone sur votre porche (...). Profond et massif».

Étrange, fascinant, mystérieux

Roman étrange et fascinant écrit dans une langue porteuse de sens que la traduction réussit à préserver, L'homme qui marchait sur la Lune est le premier roman d'un auteur mystérieux, vétéran de la guerre de Corée, poète, essayiste et grand marcheur (il a écrit un essai sur la marche qui est, dit-on, exceptionnel). Il nous arrive dans une édition québécoise grâce au flair d'un éditeur, Antoine Tanguay, qui a conclu une entente de coédition avec l'éditeur français Gallmeister.

Si le narrateur de ce roman à la cruauté troublante nous égare, à quelques rares moments, dans une imagerie empruntée à la mythologie médiévale - la déesse Cerridwen, le chat Palug apparaissent à quelques reprises, brouillant quelque peu les pistes - ce souffle, puissant, cette voix de basse grondante et parfaitement juste, d'une douloureuse beauté, nous révèle un auteur de la trempe des Jim Harrison et Cormac McCarthy.

L'homme qui marchait sur la Lune

Howard McCord

Traduit de l'américain par Jacques Mailhos

Alto, 144 pages, 19,95$

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