On ne peut accuser la romancière Madeleine Thien d'être une écrivaine pantouflarde. Née à Vancouver, de parents chinois originaires de la Malaisie, elle a vécu à Québec. Et dernièrement, il semblerait qu'elle passe une saison à Shanghai, histoire de renouer avec ses racines chinoises, peut-être.

Dans son roman Certitudes, elle nous fait voyager, nous aussi, dans le temps comme dans l'espace. L'action se déroule à Vancouver, mais très vite nous sommes transportés au nord de Bornéo, en Indonésie, aux Pays-Bas, avec un petit détour en Australie. Tout ce voyagement vise à suivre une intrigue passablement compliquée, mettant en scène des Chinois, des gens de l'Indonésie, des Néerlandais et même un Canadien, tous pris dans la tourmente de la Deuxième Guerre mondiale, sous l'occupation japonaise. (Les Néerlandais avaient établi une présence coloniale dans l'Indonésie d'aujourd'hui.)

 

Plusieurs des personnages ont pris le chemin de l'exil qui les a menés jusqu'au Canada, terre des réfugiés. Madeleine Thien fait justement partie des écrivains qui voient notre pays et notre identité comme un lieu tissé d'histoires d'immigrants.

Dont celle de Gail Lim. Documentariste pour la radio, elle se passionne pour l'histoire de William Sullivan, prisonnier de guerre dans un camp japonais, qui a écrit le journal intime de son emprisonnement en code numérique, afin de cacher son contenu à ses geôliers. Conjoint d'un médecin qui la trompe, Gail Lim mourra bientôt de pneumonie, ce qui ne l'empêchera pas de revenir durant tout le roman, car le temps dans l'oeuvre de Madeleine Thien est tout sauf linéaire.

Son père Matthew (ici, les Chinois prennent des noms occidentaux) cache un secret. Bien qu'il vive paisiblement avec sa femme Clara, il a connu l'amour à Bornéo avec Ani, une fille du village de Sandakan, passé à feu et à sang par les Japonais. Ç'a été un amour d'enfance - et un peu plus, car Ani a eu un fils de cette liaison brisée par la guerre. Le père de Matthew, ayant collaboré avec l'occupant, est mort lors de la retraite japonaise, et son fils a dû payer le prix des péchés du père.

Ajoutez à tout cela les amours entre Ani et Sipke, un photojournaliste néerlandais qui apprend le métier au fils d'Ani, le voyage de Gail en Hollande pour rencontrer le cryptographe qui a décrypté le journal de William Sullivan, et le deuil d'Ansel après la mort de Gail, et vous avez un récit pas mal touffu.

Une intrigue à passions multiples? Oui et non. Madeleine Thien a choisi une approche lyrique, pudique même. Elle préfère frôler les émotions de ses personnages que de s'y plonger. Selon vos goûts, vous serez émus par la poésie de ce roman, ou bien frustrés de rester à l'extérieur des passions de ses acteurs.

Certitudes

Madeleine Thien, traduit par Hélène Rioux XYZ Éditeur, 238 pages, 25$

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