De toutes les toiles peintes par Édouard Manet, Le chasseur de lions n'est pas passée à la postérité.

Elle est exposée à São Paulo. Olivier Rolin, qui l'aperçoit au cours d'une de ses pérégrinations de bourlingueur, est frappé. Elle lui rappelle l'histoire d'un aventurier français du XIXe siècle dont il avait appris l'existence en consultant un livre ancien, 25 ans plus tôt.

Il découvre qu'il s'agit du même Eugène Pertuiset. Qui était-il vraiment? Comment ce chasseur de lions aux allures de Tartarin de Tarascon a-t-il pu inspirer le père des Impressionnistes?

 

Ces questions parcourent tout le dernier ouvrage de Rolin intitulé Un chasseur de lions.

Ce fort beau texte éclaté relate une enquête minutieuse sur le personnage fantasque qui a laissé quelques traces aux confins du monde, depuis l'Afrique du Nord jusqu'à la Terre de Feu.

Les fragments recueillis par Rolin sont liés par la recomposition de scènes tantôt loufoques, tantôt graves. Sa narration fait alterner les points de vue. Le «tu» succède au «il», au gré des paragraphes, selon qu'il s'agisse de lui-même, de Pertuiset ou de Manet.

Il multiplie les bonds dans l'espace et le temps et télescope les références culturelles ou historiques. Ainsi, décrivant le drôle d'aventurier installant son chevalet sur la rive d'une rivière en Pantagonie, il enchaîne: «J'aurais voulu être un artiste/Pour pouvoir faire mon numéro.» «Je m'voyais déjà en photographie... J'ai tout essayé pourtant pour sortir de l'ombre/Mais un jour viendra je leur montrerai que j'ai du talent.» Plamondon et Aznavour apprécieront.

Il imagine aussi comment l'artiste a pu se lier d'amitié avec pareil excentrique, comment ils se fréquentaient sur les Grands Boulevards, dans les cafés ou l'atelier du maître.

Le ton devient grave quand Pertuiset sert de modèle à Manet pour la fameuse toile. L'artiste est déjà très atteint par la syphilis qui allait peu après l'emporter, jeune quinquagénaire.

Rolin présente le modèle en admiration devant le maître qui lui demande de narrer une mille-et-unième fois ses pantalonnades afin de le distraire de sa douleur. Il s'attarde d'ailleurs beaucoup à rendre dans quel climat Manet composait ses plus grands tableaux: Olympia, Le buveur d'absinthe, L'exécution de Maximilien, etc.

Rolin peint en somme un artiste à qui il déclare toute son admiration tant pour sa vie de bourgeois bohème, son credo républicain dans une société impériale que pour son oeuvre.

«C'est une des poétiques conséquences du temps qui passe: les témoins meurent, puis ceux qui ont raconté les histoires, le silence se fait, les vies se dissipent dans l'oubli, le peu qui ne s'en perd pas devient roman», écrit-il.

Un chasseur de lions

Olivier Rolin

Seuil. 2008, 235 pages.

***1/2