Si cela ne portait pas malheur, on dirait qu'Olivier Rolin est favori pour le prix Goncourt. Son nouveau roman figure sur presque toutes les listes des grands prix. Non sans raison: Un chasseur de lions n'est pas seulement superbement écrit, c'est un récit à la fois captivant, ironique, désopilant et mélancolique sur l'improbable rencontre entre le peintre Édouard Manet et un gros aventurier un peu ridicule. Eugène Pertuiset, dont il fait le portrait en 1881, posant devant la dépouille d'un lion, quelque part aux antipodes. Manet doit le trouver exotique et divertissant, et l'autre lui achète quelques oeuvres.

Olivier Rolin fait le récit plus ou moins inventé de cette amitié presque contre nature. En y mêlant des bribes de sa propre biographie.

 

«Bien sûr, c'était une manière de parler de moi-même, dit-il dans son appartement bohème et bricolé de la rue de l'Odéon, l'une des plus prisées de Saint-Germain-des-Prés. De moi-même il y a 25 ans, en pleine guerre des Malouines où m'avait envoyé en reportage le Nouvel Observateur: c'est là que pour la première fois j'ai fait la connaissance de ce Pertuiset.»

Dans une librairie de Punta Arenas, en ce mois de juin 1982, Rolin découvre un livre intitulé Petite histoire australe, et qui relate une expédition de 1873 conduite en Terre de Feu par ce «Sancho Pança» de Patagonie.

«Sur le coup, dit Rolin, il m'a fait penser à Blaise Cendrars. Je voyais en lui un homme qui avait pu fréquenter Rimbaud en Abyssinie. Après coup, j'ai découvert que c'était un être un peu ridicule, pompeux et vantard.» Le romancier sort de sa bibliothèque deux bouquins reliés l'édition originale des souvenirs du sieur Pertuiset: «Tiens, dit-il, je n'avais pas remarqué: le premier s'appelle Chasseur de lions! Mais peu importe: on voit à le lire que c'était un amateur de style ampoulé. Un bonimenteur de salon. Comment Édouard Manet, à la fois bourgeois et bohème, et si raffiné, a-t-il pu s'acoquiner avec un type pareil?»

Et puis il y a ce signe du destin, un quart de siècle plus tard. Dans un musée de São Paulo, il tombe sur une grande toile signée Manet et reconnaît instantanément «son» aventurier, grand, gros et rougeaud, comme sur l'illustration du livre de Punta Arenas, et qui avait posé pour son «cher Maître». Un tableau et une relation dont Olivier Rolin ignorait l'existence.

«Curieusement, dit-il aujourd'hui, j'avais, avant même de voir ce tableau, commencé dans les années 90 un roman où apparaissait Pertuiset. C'était la première ébauche de Tigre de papier, ce roman sur ma période gauchiste d'après 1968: une sorte de parallèle ironique entre nous, aventuriers maos et clandestins pas très sérieux, et ce Falstaff des antipodes... Le roman ne marchait pas. J'ai jeté la centaine de pages. Et Pertuiset avec. Il revient aujourd'hui sous une autre forme.»

Avec son frère Jean deux ans de moins que lui , Olivier Rolin a eu un parcours étonnamment parallèle: tous deux dirigeants anarcho-maos de la gauche prolétarienne, puis passés à «clandestinité» et devenus un temps apprentis terroristes. Avant de quitter le militantisme, puis de devenir tous deux écrivains réputés au milieu des années 80: Olivier a gagné le prix Fémina en 1994, et Jean le prix Médicis en 1996!

«Bien entendu, dit Olivier Rolin, c'est un peu en souvenir de cette époque lointaine que j'ai voulu camper ce personnage pétaradant et dérisoire. Mais en même temps, c'est un livre qui m'a plus angoissé que les autres. Il y a certes un fil ténu entre les éléments qui composent le livre: Pertuiset dans les immensités désertes que j'adore, Manet, sa carrière artistique et la vie mondaine des années 1870-80, moi-même entre 1980 et le début des années 2000. Et en même temps c'est un livre dépourvu de centre de gravité, qui parle du côté dérisoire de la vie, mais aussi de la création artistique, des mesquineries de la vie parisienne, de mon désenchantement politique et de mes regrets d'être devenu aussi désabusé. C'est un mélange de tout cela, et je n'étais pas sûr

d'en venir à bout...»

En fin de compte, la mission a été accomplie, les lecteurs sont au rendez-vous. Et, si Rolin a prévu un déplacement fin octobre au Québec qu'il «adore» ce sera rapide. Retour à Paris pour le deuxième lundi de novembre, date d'ouverture de la chasse au Goncourt. Au cas où...