On les connaît tous... L'un arrive de Bragance - «Tu connais pas?!! Dans le nord du Portugal: personne va là...» - où il a découvert, dans une petite rue, un petit restaurant de cinq petites tables où il a mangé des calamars géants fourrés au foie de courlis: «É-coeur-rant! Faut que tu ailles là!»

L'autre, lui, n'écoute que de la musique berbère mais là, attention! pas n'importe quelle musique berbère: celle de Kabylie où ça chante en tamazight. Ici votre belle-soeur qui, «sous aucun prétexte», ne magasinerait à La Baie: «T'arrives au bureau le lundi et ta secrétaire porte la même robe que toi... Hello?» Et voilà Pier-Léonce DeMers qui va vous raconter comment il prend un verre aux côtés de l'animatrice de Brouhaha, tous les jeudis soirs au Zéphyr où le portier l'appelle «Monsieur De».

 

Ils sont du type touristique, de la mode, artistique ou mondain; ils veulent se distinguer à tout prix de leur entourage par l'exotique, le rare ou le cher qui leur donne l'impression d'appartenir à quelque classe supérieure dont ils copient les goûts et les façons. Les vieux d'ici diraient qu'«ils pètent plus haut que le trou». Ce sont les snobs et ils sont partout.

L'évolution d'une façon d'être

Partout où ils peuvent paraître, explique Frédéric Rouvillois dans sa magistrale Histoire du snobisme qui, de la cour de Louis XIV au court central de Roland-Garros, retrace avec une souriante minutie (23 pages de notes) l'évolution d'une façon d'être qui touche toutes les couches sociales. Même celles du top d'où il n'est plus possible de monter; pour ces happy few, il s'agira de faire différent en défilant avec les verts ou en se présentant à l'opéra en jeans délavés avec aux pieds, comble du chic «bobo» - bourgeois bohème -, des espadrilles dépareillées.

La première partie de l'ouvrage, «Snobismes du monde», fait revivre la genèse du snobisme dans la France du XVIIIe siècle, où les roturiers ambitieux usent de tous les stratagèmes pour ajouter à leur nom une «particule» qui pourra les faire passer pour nobles. Avec les «entrées» idoines... M. Dubois commence à signer DuBois, déjà plus chic, d'autres ajoutent à leur nom leur région ou village d'origine (exemple personnel: j'aurais pu devenir Daniel du May de Lanaudière, par ici les comtesses!) quand ils ne relèvent pas un nom «libre de droits». Comme l'a fait Edmond Giscard, le père du futur président français qui, à la risée générale, a ajouté au sien le nom d'un amiral qui avait combattu glorieusement aux côtés de LaFayette; et c'est ainsi que la France a eu plus tard comme président un faux noble du nom de Valéry Giscard d'Estaing.

Ce voyage dans l'histoire de l'aristocratie française nous amène bientôt à l'un de ses grands snobismes qui, bien que par d'autres voies, a une belle histoire chez nous: l'anglomanie. Le snob français d'il y a un siècle portait la redingote (riding coat), le haut-de-forme et la canne comme les lords anglais, et s'il ne pouvait se payer une écurie de pur-sang, il se faisait un devoir d'être vu dans les grands hippodromes comme à Auteuil, le chic du chic.

Après les courses de chevaux, passion des premiers sportsmen britanniques, l'Angleterre exportera en France ce qui s'avérera l'objet d'un snobisme persistant: le sport. De sport d'élite - seuls les gentlemen avaient le temps et les ressources pour les pratiquer -, le tennis et surtout le golf attirent les snobs aujourd'hui encore parce que, malgré la démocratisation du jeu, il y a toujours moyen de se mettre hors de portée du «laboureur» commun en se faisant admettre dans un club chic. «Être admis...» Il y a des centaines de quatuors de golfeurs occasionnels qui seraient prêts à vendre leur mère pour «rentrer» à Laval-sur-le-Lac? Le sésame du snob: «Connaître les gens qu'il faut et mépriser les autres.»

Truffes et caviar

Comme ceux qui croient encore que le saumon fumé de Norvège est in... Dans le chapitre «Snobismes de la bouche», qui vaut à lui seul le prix du livre, M. Rouvillois - il a aussi écrit Histoire de la politesse - explique comment les truffes puis le caviar (russe et préférablement de contrebande) sont devenus et restés le fin du fin pour les snobs de la bouche. Mais, demande-t-il, «la jet-set s'intéresserait-elle au caviar s'il était au prix de la rillette»?

Et s'il venait, disons, du Lac-Saint-Jean... Car la plupart des snobs sont touchés par ce que l'auteur appelle la «xénolâtrie», «l'amour systématique de tout ce qui est étranger». Cela tient pour les arts et la musique comme, plus prosaïquement, pour la mode vestimentaire ou les autos: quoi de plus mortifiant que de se faire voir rue Saint-Denis au volant d'une Chevrolet?

Détester tout ce qui est à la mode

À l'opposé, finalement, au-delà de cette zone grise où le snobisme peut se confondre avec l'amour de la découverte, la passion du collectionneur ou la simple originalité, il y a les anti-snobs, «qui détestent systématiquement tout ce qui est à la mode». Avec la moue de ceux qui sont au-dessus de ces minables contingences, ils diront bien fort qu'ils n'ont pas d'auto, pas de câble et pas de téléphone portable. C'est mon cas. Depuis toujours et à jamais. Pas par snobisme pantoute mais par conviction... que je peux emprunter le BlackBerry de mes amis snobs en cas d'urgence.

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HISTOIRE DU SNOBISME

Frédéric Rouvillois

Flammarion, 450 pages, 49,95$