Siri Hustvedt est une grande écrivaine. Elle publie au compte-gouttes, quatre romans en 15 années. Tous attendus par ses fans, plus nombreux depuis 2003. C'était l'année de Tout ce que j'aimais. Le livre qui l'a mise sous les projecteurs. Autant dire que celle qui, à la ville, est la compagne de Paul Auster, était attendue. Très. Elle ne déçoit pas. Élégie pour un Américain est un roman magnifique. Un roman lourd de sens, profond, riche et ambitieux. Érudit aussi. Un roman que l'on porte en soi pendant tout le temps que dure sa lecture. Et après. Longtemps après. Siri Hustvedt, qui est aussi l'auteur de l'essai Mystères du rectangle, essais sur la peinture, est une peintre. Avec ses mots, elle peint les gens, la société, les relations humaines, les atmosphères.

Bref, ses personnages ne nous quittent pas. Ses mots coulent en nous. Ses phrases sont aussi limpides que belles, jamais «surtravaillées» (et impeccablement traduites par Christine Le Boeuf). Ses récits se font compagnons. Ses livres sont de ceux qui occupent une place à part.

Le nouveau jalon de son oeuvre qu'est Élégie pour un Américain est, à plus d'un titre, extrêmement personnel - tant pour l'histoire familiale de ses personnages que pour la réflexion portée sur la société américaine encore ébranlée par les événements du 11 septembre 2001. Ce, même si les attentats ne prennent jamais l'avant-plan - une décision judicieuse et intelligente.

On suit donc ici un frère et une soeur dont la famille est d'origine norvégienne, qui ont grandi au Minnesota et vivent maintenant à New York. C'est, dans les grandes lignes, ce que dit l'arbre généalogique de la romancière - qui a d'ailleurs intégré au récit des extraits des mémoires de son père, mort en 2003. Or, et ce n'est sûrement pas un hasard, Élégie pour un Américain raconte le deuil du père. Celui d'Erik et Inga Davidsen.

Le premier est psychiatre, divorcé, solitaire, déprimé, et il agit comme narrateur du livre. Tout près de lui, mais en même temps très loin, sa soeur Inga. Prisonnière de sa bulle de veuvage: elle ne se remet pas de la mort de son mari, un écrivain célèbre, plus âgé qu'elle et qui a aussi réalisé quelques films. À première vue, il y a du Paul Auster en lui, comme il y a, et là, c'est plus clair, de Siri Hustvedt dans Inga, longue, blonde, belle, et femme de mots.

Le père disparu et l'Amérique disparue sont donc de ce récit dans lequel se glissent également une femme aux yeux magnifiques, locataire d'Erik, mère d'une enfant adorable, harcelée par son ex. Et puis, il y a les amis, les connaissances. Les discussions. L'intelligence dans les échanges. La beauté dans les images. Et l'incertitude. Car Siri Hustvedt ne lâche pas ses personnages avant la dernière page, les derniers mots. Tout est toujours possible. Ainsi vont ses livres, comme la vie.

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ÉLÉGIE POUR UN AMÉRICAIN


SIRI HUSTVEDT

(TRADUIT PAR CHRISTINE LE BOEUF)

ACTES SUD/LEMÉAC, 400 PAGES, 37,95$