Avec Hôtel Septième-ciel, recueil d'histoires porté par un style chatoyant, Claire Dé nous transporte dans le Montréal d'hier et d'aujourd'hui, dans ses souvenirs et ses rêveries. Entre le métro de Paris et la rue Ontario, l'obsession de la mort côtoie la pure joie de vivre dans un livre tonique, sensible et brillant.

On se souvient de Claire Dé pour le recueil de nouvelles Le désir comme catastrophe naturelle, qui l'a catapultée en 1989 «auteure érotique», bien malgré elle. On n'avait pas revu le nom de cette vedette littéraire, qui a traversé avec flamboyance les années 80 et 90, sur une couverture de livre depuis Bonheur, oiseau rare, en 1998.

«Pour moi, ce n'est pas un retour parce que dans ma tête, je ne suis jamais partie. Ce n'est pas parce que je n'ai pas publié de livre que j'ai arrêté d'écrire», précise l'auteure de 58 ans. Elle nous reçoit chez elle, dans l'appartement du quartier Centre-Sud qu'elle partage depuis 15 ans avec sa soeur jumelle Anne Dandurand, comédienne et auteure - elles ont signé ensemble leur premier recueil de nouvelles, La louve-garou, en 1982.

Une joaillière

Après avoir travaillé dans l'ombre pendant une dizaine d'années - traduction, textes d'exposition - et s'être cassé les dents sur un roman qu'elle a fini par jeter à la poubelle, revoici donc Claire Dé avec Hôtel Septième-ciel, recueil qui rassemble de nouveaux textes avec d'autres plus anciens, mais qu'elle a retravaillés. «Il n'y a pas que du vieux stock! De toute façon, j'ai tout revu, corrigé et augmenté pour qu'à la fin, ça forme un ensemble cohérent, qu'on ne sente aucune différence.»

Un effort qui a porté ses fruits et qui lui a prouvé que c'est dans la nouvelle qu'elle est au sommet de son art. «Moi, mon affaire, c'est le style. Je suis une joaillière, j'aime faire des bijoux. J'ai l'ambition de la perfection, qui est impossible dans le roman, mais que je peux viser dans la nouvelle.» De toute façon, son univers est trop peuplé, et chevauche trop d'époques, pour qu'elle puisse tout regrouper dans une seule histoire continue -même un recueil thématique n'était pas envisageable.

«Si j'avais écrit un roman, il serait cousu de gros fil blanc, alors qu'avec les nouvelles, j'ai fait dans la haute couture!» Théâtrale, Claire Dé éclate de son grand rire, s'agite avec sa tasse de café à la main, tire une bouffée de son fume-cigarette. On pense à Rencontre avec une ogresse, première nouvelle de son recueil, dans laquelle elle se décrit en se mettant dans la peau d'une journaliste italienne venue l'interviewer. L'autodérision est donc au rendez-vous. «Il faut être dur quand on fait son autoportrait.»

En fait, Hôtel Septième-ciel est le portrait en plusieurs dimensions de son auteure, formé de ses souvenirs d'enfance, de ses amitiés et de ses amours, de rencontres marquantes, d'auteurs fétiches... «Tout est vrai et tout est faux, dit-elle. C'est-à-dire que l'émotion est vraie, mais que les détails sont faux. Je réinvente mes histoires pour en faire de la fiction.»

Fantaisiste

À travers l'histoire de l'auteure se mêlent des personnages étranges et des marginaux, et Hôtel Septième-ciel est rempli de rencontres miraculeuses et magiques. Claire Dé est une éternelle curieuse - «rien d'humain ne me sera étranger, c'est ma première devise» - qui aime le contact humain et apprécie en particulier les «personnages», fournisseurs de bonnes histoires. «Je suis dans la lignée d'Originaux et détraqués, de Louis Fréchette, qui pour moi est un livre fondateur de notre littérature. En chacun de nous, il y a un personnage.»

Ce choix fait d'Hôtel Septième-ciel un livre fantaisiste - l'héritage de son père, dit-elle - mais aussi mélancolique: il y plane l'ombre du suicide et de la mort, qu'elle conjure à coups de mots inusités, de discussion imaginaire avec George Sand ou d'échange littéraire avec un inconnu. «J'ai la misère dorée. Le merveilleux, je le vois», dit-elle en admettant souffrir de dépression chronique - la dysthymie - et se soigner en conséquence. «C'est vrai que ça donne des beaux livres, mais quand on est trop enfoncé, on ne produit plus rien!»

Elle a donc écrit ce livre «avec son âme», avec ses côtés sombres et son humour, parlant du Montréal qu'elle aime et connaît par coeur et laissant éclater sa nostalgie d'une enfance qu'elle juge «merveilleuse». Et chaque mot a été choisi avec soin pour que chaque nouvelle ait «sa propre vérité».

«Je réécris beaucoup», dit cette grande «liseuse et reliseuse» qui a de nombreux maîtres en style et qui dit soigner particulièrement le titre et la chute d'une histoire. «On doit tout comprendre d'un livre dans son titre, sans qu'on ait besoin de lire la quatrième de couverture.»

Et quand elle nous raconte que la chute est souvent ce qu'elle écrit en premier, on la croit, tellement chaque dernier paragraphe de chaque histoire d'Hôtel Septième-ciel est un bijou poli à la perfection. Le secret? «Il faut que ce soit ouvert et fermé à la fois. Le temps est circonscrit dans une nouvelle, et à la fin, il y a l'heure, le glas, le tocsin sonne. Dites-le comme vous voulez, mais il faut que la question soit tranchée.»

Elle l'est admirablement à la fin du livre, alors que l'auteure s'imagine à l'hôtel Septième-ciel, sorte de paradis où elle trouve tout ce qui lui fait plaisir - bouffe, cigarette -, croise Baudelaire qui la console, rencontre amis et anciens amants. «S'il s'éteint souvent, écrit-elle, l'amour, le magnifique amour ne meurt pas.»

Hôtel Septième-ciel, de Claire Dé. Triptyque, 153 pages