Avec un aussi joli titre, on ne s'attendait à rien de moins qu'au regard attendri du célèbre pamphlétaire Claude Jasmin (férocement anticlérical) posé sur le personnage historique le plus intéressant de toute la chrétienté. C'est bien ce qu'il nous a livré, à la façon d'un évangile apocryphe que l'on aurait pu trouver dans les arènes romaines de Poitiers.

Prenant la voix d'un hypothétique ami d'enfance de Jésus, un certain Aran devenu marchand, Jasmin se prête ici au jeu de témoin imaginaire, offrant sous forme d'épîtres le récit des événements avec une candeur rafraîchissante qui nous change du ton auquel nous a habitués le catéchisme. Profondément troublé par le bouleversement que provoque son ami "nez-dans-les-livres", Aran prend donc la plume, cherchant à comprendre comment l'enfant rieur qui s'empiffrait de gâteaux au miel et qui partageait ses jeux quotidiens, comment l'adolescent fasciné par les Écritures a pu se transformer en orateur adulé par des foules de plus en plus nombreuses.

Ce "faux" témoignage lucide et dépourvu de la crédulité ambiante permet de jeter un oeil curieux sur l'humanité souvent auscultée du personnage, de sa douloureuse résignation au terrible doute en croix mais aussi sur le personnage contesté de Marie, ici maternelle et charnelle, confuse devant une situation qui lui échappe alors que les légendes et fariboles s'accumulent autour de la conception de son fils unique. On l'aura compris, le ton choisi par l'auteur souligne à merveille le côté historique du mythe alors qu'Aran voit les mouvements de masse échapper à tout contrôle. Exagère-t-on les dons du prêcheur afin de faciliter la transmission de son message? Isolé par ses 11 défenseurs, Jésus demeure maintenant inatteignable, un ancien frère de sang au loin sur une montagne.

Ce souci de réalisme éclaire également la contemporanéité de cet épisode marquant pour le monde tel qu'on le connaît aujourd'hui. Outre les craintes de l'assassinat d'un homme aux idées dangereuses (décriant le recours à la guerre), on y reconnaît la situation politique d'un État occupé fomentant déjà ses révoltes. Le message de simplicité de Jésus se frappe également au confort relatif d'Aran, à la tête d'une entreprise prospère, figure emblématique d'un capitalisme naissant.

On déplorera cependant la série de textes un peu redondants relatant l' "après mise à mort", c'est-à-dire ces années mouvementées où le narrateur observe de loin, bourré de remords, les disciples désireux de créer une nouvelle Église. Le récit s'essouffle ici dans les redites alors que l'auteur nous avait amenés sur un chemin plus vivifiant, celui des souvenirs d'enfance et des impressions fugaces qu'aura généré la dernière année du Christ, l'année de ses 33 ans, de la passion et du vendredi maudit.

Le rire de Jésus

Claude Jasmin

Marcel Broquet, 262 pages, 27,95$

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