Au bord de la catastrophe, le poète trouve toujours la voie de la beauté. À preuve, la réalisatrice et parolière Joséphine Bacon, Innue de Betsiamites, qui signe son premier recueil, où la poésie prend le relais du tambour qui a cessé de résonner.

À la manière d'un déchirant chant tzigane ou encore d'un vibrant gospel, Bacon traduit la disparition de la culture des Premières Nations dans cette série de Bâtons à messages, inspirés des signaux de passage que les anciens disséminaient sur les territoires de chasse. Ainsi, à travers les mots, la poétesse transmet la présence fantomatique d'une nation en deuil, hésitant entre mélancolie et désir d'adaptation. Les contradictions y fleurissent comme le fruit de chicouté, "Indien donc indigne/ je crois en Dieu/ Dieu appartient aux Blancs" alors que l'auteure, les yeux vers le Nutshimit perdu, "offre des émotions/ à une table desservie". Une oeuvre bilingue (en français et en innu) que l'on attendait avec impatience.

Devant ce siècle qui voit tout s'effondrer, Danny Plourde clôt également sa magnifique trilogie avec Cellule esperanza (n'existe pas sans nous), probablement son oeuvre la plus empreinte de colère et la plus critique envers la vague d'individualisme occidental. Oscillant entre le désespoir: "Nous [...] évachés en chien de fusil au bout de l'Impasse" et la foi, urgente: "La levure des peuples [...] vous l'Espoir encore l'Espoir/ quoi d'autre", Plourde appelle à la résistance, et un nouveau souci d'oralité se fait sentir dans sa cavalcade de mots qu'on dirait mâchés avec fureur et lâchés dans l'air.

S'élevant contre l'aliénation générale "nous des bêtes atteintes/ s'entre-dévorant/ pour ne pas mourir de rêve/ nous confiance perdue/ laissés à nous-mêmes", le poète s'attarde sur notre propre inertie collective - "nous nous sentirons si peu fiers d'être des copeaux de Défaite" - avec une amertume parfois dérangeante mais toujours transfigurée par le langage. Un talent indéniable que l'auteur n'hésite néanmoins pas à malmener: "La poésie Insuffisante pour survivre/ de belles idées emballées dans du styromousse". Un troisième opus électrifiant entre nos doigts.

Le nouveau monde

À l'ère de ces grands bouleversements, la confusion prend également l'homme à bras le corps. Dans Les mots tremblent, Yves Préfontaine décrit bien l'air ambiant: "Le temps qu'il fait:/ grimaces de guerre/ et tumultes forcenés" alors que l'incertitude gagne du terrain: "Terre-délirante-Mère [...] plus vorace que les dieux affamés./ Nous habitons avec inquiétude ce foisonnement."

L'espoir d'une accalmie y est plus présent que chez Plourde alors que le poète rêve de la "revenue des racines". Toutefois, Préfontaine ne garde l'optimisme à la bride qu'entre deux tressaillements, parfois prose, parfois vers, puisqu'il inscrit encore: "Cette lueur vacille,/ à travers le monde,/ épuisée d'une vigile vaine. Moi, halluciné d'être à l'affût/ du peu qui scintille/ au dessus du bruit,/ je la vois tomber/ dans le profond charbon des jours."

Enfin, le jeune Philippe More livre dans ses Brouillons pour un siècle abstrait une poignée de poèmes ancrés dans le nouveau millénaire. Son champ lexical dénote un intérêt pour le corps dépossédé et étudié dans ses tréfonds, comme si la clé "du coeur tuberculeux du monde" se cachait dans le repli des cellules. "L'humanité est affaire classée" écrit-il avec sang-froid, "c'est aux annexes qu'aujourd'hui on est rendu".

L'auteur y signe d'ailleurs une étonnante série de couvre-feu comme autant d'échos de la modernité, où "les mots sont la dernière cicatrice/ du monde qui griche encore/ dans le silence à vif au bout du canon."

Bâtons à message/Tshissinuatshitakana

Joséphine Bacon

Mémoire d'encrier, 144 pages, 15$

***

______________

Cellule esperanza (n'existe pas sans nous)

Danny Plourde

L'Hexagone, 144 pages, 19,95$

****

______________

Les mots tremblent

Yves Préfontaine

L'Hexagone, 96 pages, 14,95$

***1/2

______________

Brouillons pour un siècle abstrait

Philippe More

Poètes de brousse, 96 pages, 15$

***