Après avoir signé un premier recueil de nouvelles fort bien accueilli en 2006 (Tomber du ciel, Boréal), la journaliste au Devoir Caroline Montpetit poursuit dans la même veine en offrant aux lecteurs six nouvelles qui ont cette fois pour thème l'enfant en lui-même, ce qu'il évoque chez les uns, ce qu'il provoque chez les autres de tendresse, d'amour, de haine et d'indifférence.

Avec le soin qu'on lui connaît aujourd'hui pour le détail, Montpetit brise l'idylle convenue, préconise de nouveau la plongée dans l'univers intime de gens ordinaires pour y relever la puissante charge émotive. Elle nous la livre à petites doses, parenthèses ouvertes sur le drame quotidien des autres et refermées par la suite, brusquement et sans préavis. L'incursion est brève, dense et suspendue.

L'auteure semble avoir choisi ses angles avec minutie, proposant de nombreux et divers points de fuite. Déjà, on joue avec le temps, «l'enfant» de l'histoire n'étant pas toujours un enfant au moment des faits mais un père absent dont il ne reste qu'une photo, une adolescente dont la mue naturelle a tout bouleversé. Le recueil s'ouvre d'ailleurs sur l'expérience à la fois douloureuse et salvatrice de l'enfantement, pour ensuite démontrer crûment la gifle de la perte avec le récit d'une noyade. L'auteure s'attarde sur les cicatrices de la procréation assistée tout comme celles des gestes amoureux qui éloignent les bras rassurants d'une gardienne de passage. Montpetit aborde également la filiation par le regard d'une femme sans enfant et celui, redoutable, de la communauté autochtone qui a vu ses propres traditions pillées par sa progéniture, de retour des pensionnats. Descendance âprement volée.

L'enfance est souvent ici refuge bienheureux ou alors monde inaccessible, cadenassé derrière les années, interdit, sous peine de trahison. Certes, comme dans nombre de recueils de nouvelles, certains fragments de récits demeurent plus riches que d'autres, donnant au tout un aspect plutôt inégal. Or, les protagonistes de Montpetit n'ont de cesse de s'interroger, d'hésiter, l'auteure puisant à la fois dans les pensées de ses personnages secondaires et celles de ses personnages principaux, délaissant l'un pour aller vers l'autre. La grande justesse de certains de ces extraits ravit, comme cette aïeule qui perçoit dans le bruissement des feuilles le reproche d'avoir oublié les hivers d'avant, cette jeune fille qui sent éclater derrière elle une enfance qu'elle croyait inaltérable ou encore cette femme qui entend dans le bruit de ses pas traversant une rue du bout de monde son obstination de la solitude et de l'éloignement... Parcelles éparses et furtives de la vie et des enfants des autres.

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L'Enfant

Caroline Montpetit Boréal, 136 pages, 17,95$

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