Les cochons de bourgeois comme vous et moi ne connaissent pas grand-chose aux punks, sinon qu'ils font peur un peu. Nous ne sommes pas pour autant incurieux du phénomène. Un roman d'Alain Cliche, Normal, devrait nous éclairer.

Des manifestations punk y sont décrites de l'intérieur, semble-t-il, par un converti à des moeurs et valeurs plus banales. Un essai de sociologue ou de psychologue ferait mieux l'affaire, car la complaisance du narrateur est insondable.

Voici des personnages en rupture de tout, même si ce tout n'est pas clairement identifié. Issus de familles ordinaires, ils vouent haine et mépris à leurs parents, sans leur donner la parole, et se font la promesse de vivre autrement.

La réussite de la rupture est incontestable : petite culture, absence de compassion, pensée inexistante. La nébuleuse punk a pourtant connu des idéologies diverses, philosophiques et politiques, une esthétique aussi. Pacifisme, anarchisme (ce n'est pas un vilain mot), socialisme, autant de courants qui l'ont traversée.

Aucun écho de tout cela dans Normal, tout entier consacré à la musique. Le rock et le disco n'ont pas la partie belle, qui sont totalement exécrés.Il n'y en a que pour la musique punk, dont l'intérêt n'est pas négligeable, il est vrai, musique qui dans Normal est la grande pourvoyeuse d'extase, si la bombe chimique qu'on a ingérée est d'un calibre idoine. L'effet est-il plus convaincant qu'en écoutant Messe pour le temps présent ou Santana en fumant un petit joint ? (Tais-toi, vieux chnoque !)

Le narrateur se complaît à raconter des frasques adolescentes, insignifiantes ou carrément dégoûtantes (par exemple quand la bande affiche son mépris des homosexuels ou rigole à propos d'une fille qui s'est inondée d'essence et qui est morte par le feu) et surtout répétitives. Les personnages, pourtant assez indifférenciés, ne cessent de clamer leur originalité et leur singularité, tout en étant curieusement obsédés par leur conformité à ce qu'ils croient être la pureté punk. Leur liberté ainsi contrainte ne semble pas les gêner du tout, pas plus que l'autodestruction systématique à laquelle ils consentent comme si elle allait de soi. Avec de telles méthodes de contestation de l'ordre établi, les «imbéciles «, c'est-à-dire tous les autres, peuvent dormir tranquilles.

Le roman de M. Cliche n'est pas une apologie des drogues dures, même si la démarche descriptive l'emporte sur le souci pédagogique. Quand le narrateur explore l'histoire vécue par les protagonistes avec un certain recul, le jugement est plutôt sévère. Il est symptomatique d'ailleurs que ledit narrateur jette un regard navré sur la déchéance de ses potes et peut-être de la sienne, lui qui dit avoir retrouvé sa fierté et sa dignité perdues dans un travail rémunéré, la récolte du tabac en Ontario, dans des conditions proches de l'esclavage. Après le no future, le temps est-il venu de tagger les murs de no past ?

NORMAL

Alain Cliche

Trois-Pistoles, 264 pages, 24,95$